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SECONDE ANECDOTE


SUR BÉLISAIRE[1]

Frère Triboulet, de l’ordre de frère Montepulciano[2], de frère Jacques Clément, de frère Ridicous[3], etc., etc., et de plus docteur de Sorbonne, chargé de rédiger la censure de la fille aînée du roi, appelée le concile perpétuel des Gaules, contre Bélisaire, s’en retournait à son couvent tout pensif. Il rencontra dans la rue des Maçons la petite Fanchon, dont il est le directeur, fille du cabaretier qui a l’honneur de fournir du vin pour le prima mensis[4] de messieurs les maîtres.

Le père de Fanchon est un peu théologien, comme le sont tous les cabaretiers du quartier de la Sorbonne. Fanchon est jolie, et frère Triboulet entra pour... boire un coup.

Quand Triboulet eut bien bu, il se mit à feuilleter les livres d’un habitué de paroisse, frère du cabaretier, homme curieux, qui possède une bibliothèque assez bien fournie.

Il consulta tous les passages par lesquels on prouve évidemment que tous ceux qui n’avaient pas demeuré dans le quartier de la Sorbonne, comme, par exemple, les Chinois, les Indiens, les Scythes, les Grecs, les Romains, les Germains, les Africains, les Américains, les blancs, les noirs, les jaunes, les rouges, les têtes à laine, les têtes à cheveux, les mentons barbus, les mentons imberbes, étaient tous damnés sans miséricorde, comme cela est juste, et qu’il n’y a qu’une âme atroce et abominable qui puisse jamais penser que Dieu ait pu avoir pitié d’un seul de ces bonnes gens.

  1. Cette Seconde Anecdote suivit d’assez près la première (qu’on a vue à la page 109) ; car il en est question dans la lettre de Voltaire à d’Alembert, du 3 mai 1767.
  2. Bernard-Politien de Montepulciano, dominicain, est accusé d’avoir empoisonné Henri VII avec du vin consacré ; voyez tome XI, page 530 ; et XIII, 387.
  3. Consultez les Mémoires de L’Estoile, et vous verrez ce qui arriva en place de Grève à ce pauvre frère Ridicous. (Note de Voltaire.)
  4. Ce mot composé signifiait une assemblée réunie, le premier de chaque mois, prima mensis die, pour conférer des affaires de la faculté de théologie. Voyez, plus loin, la Prophétie de la Sorbonne. (Cl.)