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Béziers, de Carcassonne, de Lavaur, et de cent bourgs considérables ; presque tous les citoyens furent brûlés en effet, ou pendus, ou égorgés.

les vêpres siciliennes.

S’il est quelque nuance entre les grands crimes, peut-être la journée des vêpres siciliennes est la moins exécrable de toutes, quoiqu’elle le soit excessivement. L’opinion la plus probable est que ce massacre ne fut point prémédité. Il est vrai que Jean de Procida, émissaire du roi d’Aragon, préparait dès lors une révolution à Naples et en Sicile ; mais il paraît que ce fut un mouvement subit dans le peuple animé contre les Provençaux, qui le déchaîna tout d’un coup, et qui fit couler tant de sang. Le roi Charles d’Anjou, frère de saint Louis, s’était rendu odieux par le meurtre de Conradin et du duc d’Autriche, deux jeunes héros et deux grands princes dignes de son estime, qu’il fit condamner à mort comme des voleurs. Les Provençaux qui vexaient la Sicile étaient détestés. L’un d’eux fit violence à une femme le lendemain de Pâques ; on s’attroupa, on s’émut, on sonna le tocsin, on cria : « Meurent les tyrans ! » Tout ce qu’on rencontra de Provençaux fut massacré ; les innocents périrent avec les coupables.

les templiers.

Je mets sans difficulté[1] au rang des conjurations contre une société entière le supplice des templiers. Cette barbarie fut d’autant plus atroce qu’elle fut commise avec l’appareil de la justice. Ce n’était point une de ces fureurs que la vengeance soudaine ou la nécessité de se défendre semble justifier : c’était un projet réfléchi d’exterminer tout un ordre trop fier et trop riche. Je pense bien que, dans cet ordre, il y avait de jeunes débauchés qui méritaient quelque correction ; mais je ne croirai jamais qu’un grand maître et tant de chevaliers, parmi lesquels on comptait des princes, tous vénérables par leur âge et par leurs services, fussent coupables des bassesses absurdes et inutiles dont on les accusait. Je ne croirai jamais qu’un ordre entier de religieux ait renoncé en Europe à la religion chrétienne, pour laquelle il combattait en Asie, en Afrique, et pour laquelle même encore plu-

  1. Dans l’impression de 1766, il y avait : « Je mets sans difficulté au rang des proscriptions le supplice des templiers. »