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lais escamoter à M. de Voltaire par ton libraire Fez ? Je t’en fais mon compliment ; Garasse n’en savait pas tant que toi, et le contrat mohatra[1] n’approche pas du marché que tu avais proposé. Mais, cher Nonotte, ce n’est pas assez de faire de bons marchés ; il faut avoir raison quelquefois.

1o En attaquant un Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations, tu ne devais pas commencer par dire que Trajan, si connu par ses vertus, était un barbare et un persécuteur. Et sur quoi le trouves-tu cruel ? Parce qu’il ordonne qu’on ne fasse pas de recherches des chrétiens, et qu’il permet qu’on les dénonce.

Mais il était très-juste de dénoncer ceux qui, emportés par un zèle indiscret comme Polyeucte, auraient brisé les statues des temples, battu les prêtres, et troublé l’ordre public. Ces fanatiques étaient condamnés par les saints conciles. Un roi aussi bon que Trajan pourrait aujourd’hui, sans être cruel, punir légèrement le chrétien Nonotte s’il était dénoncé comme calomniateur, s’il était convaincu d’avoir publié ses erreurs sous le nom des erreurs d’un autre ; d’avoir mis le titre d’Amsterdam, au mépris des ordonnances royales ; et d’avoir méchamment et proditoirement médit de son prochain.

2o On t’a déjà dit[2] que tu manquais de bonne foi quand tu reprochais à l’auteur de l’Essai sur les Mœurs, etc., ces paroles que tu cites de lui : « L’ignorance chrétienne se représente d’ordinaire Dioclétien comme un ennemi armé sans cesse contre les fidèles. » On a averti, et on avertit encore, que ces mots l’ignorance chrétienne ne sont dans aucune des éditions de cet ouvrage, pas même dans l’édition furtive de Jean Neaulme. Que dirais-tu, si tu trouvais dans un bon livre l’ignorance de Nonotte ? Mettrais-tu à la place l’ignorance chrétienne de Nonotte ? Ne t’exposerais-tu pas aux soupçons qu’on aurait que ce Nonotte, ex-jésuite, est un fort mauvais chrétien puisqu’il calomnie ?

Tu réponds que ce sont des chrétiens mal instruits qui ont dit que Dioclétien avait toujours persécuté, et que par conséquent on peut appeler leur erreur une ignorance chrétienne.

Mon ami, voilà de ta part une ignorance un peu jésuitique. Tu fais là une plaisante distinction ; tu allègues une direction d’intention fort comique : il fallait ne point corrompre le texte, avouer ton tort, et te taire.

  1. C’est racheter à vil prix d’une personne l’objet qu’on lui a vendu fort chèrement. (B.)
  2. Tome XXIV, page 484.