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du ixe siècle. Cette femme superstitieuse et cruelle, veuve du cruel Théophile, et tutrice de l’infâme Michel, gouverna quelques années Constantinople. Elle donna ordre qu’on tuât tous les manichéens dans ses États. Fleury, dans son Histoire ecclésiastique[1], avoue qu’il en périt « environ cent mille ». Il s’en sauva quarante mille qui se réfugièrent dans les États du calife, et qui, devenus les plus implacables comme les plus justes ennemis de l’empire grec, contribuèrent à sa ruine. Rien ne fut plus semblable à notre Saint-Barthélemy, dans laquelle on voulut détruire les protestants, et qui les rendit furieux.

celle des croisés contre les juifs.

Cette rage des conspirations contre un peuple entier sembla s’assoupir jusqu’au temps des croisades. Une horde de croisés, dans la première expédition de Pierre l’Ermite, ayant pris son chemin par l’Allemagne, fit vœu d’égorger tous les Juifs qu’ils rencontreraient sur leur route. Ils allèrent à Spire, à Vorms, à Cologne, à Mayence, à Francfort ; ils fendirent le ventre aux hommes, aux femmes, aux enfants de la nation juive qui tombèrent entre leurs mains, et cherchèrent dans leurs entrailles l’or qu’on supposait que ces malheureux avaient avalé.

Cette action des croisés ressemblait parfaitement à celle des Juifs de Chypre et de Cyrène, et fut peut-être encore plus affreuse, parce que l’avarice se joignait au fanatisme. Les Juifs alors furent traités comme ils se vantent d’avoir traité autrefois des nations entières ; mais, selon la remarque de Suarez[2], « ils avaient égorgé leurs voisins par une piété bien entendue, et les croisés les massacrèrent par une piété mal entendue ». Il y a au moins[3] de la piété dans ces meurtres, et cela est bien consolant !

celle des croisades contre les albigeois.

La conspiration contre les Albigeois fut de la même espèce et eut une atrocité de plus : c’est qu’elle fut contre des compatriotes, et qu’elle dura plus longtemps. Suarez aurait dû regarder cette proscription comme la plus édifiante de toutes, puisque de saints inquisiteurs condamnèrent aux flammes tous les habitants de

  1. Liv. XLVIII, 25.
  2. Célèbre casuiste.
  3. Cette phrase a été ajoutée en 1771.