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pas à la date des éditions, et n’ayant pas même lu le P. Barre, qu’on ne lit guère, ne doutèrent pas que M. de Voltaire n’eût volé le P. Barre, ou du moins feignirent de n’en pas douter, et appelèrent l’auteur de Charles XII plagiaire ; mais c’est une bagatelle qui ne mérite pas d’être relevée. Ces petits mensonges sont le profit des folliculaires ; il faut que tout le monde vive.

VINGTIÈME HONNÊTETÉ.

C’est encore un secret admirable que celui de déterrer un poëme manuscrit qu’on attribue à un auteur auquel on veut donner des marques de souvenir, et de remplir ce poëme de vers dignes du postillon, du cocher de Vertamon ; d’y insérer des tirades contre Charlemagne et contre saint Louis ; d’y introduire au XVe siècle Calvin et Luther, qui sont du xvie ; d’y glisser quelques vers contre des ministres d’État ; et enfin de parler d’amour comme on en parle dans un corps de garde. Les éditeurs espèrent qu’ils vendront avantageusement ces beaux vers et libelles de taverne, et que l’auteur à qui ils les imputent sera infailliblement perdu à la cour.

Les galants y voyaient double profit à faire :
Leur bien premièrement, et puis le mal d’autrui[1].

Vous vous trompez, messieurs, on a plus de discernement à Versailles et à Paris que vous ne croyez ; et ceux quibus est æquus et pater et res[2] ne sont pas vos dupes. On n’imputera jamais à l’auteur d’Alzire ces vers :

Chandos, suant et soufflant comme un bœuf,
Cherche du doigt si Jeanne est une fille ;
« Au diable soit, dit-il, la sotte aiguille ! »
Bientôt le diable emporte l’étui neuf ;
Il veut encor secouer sa guenille…
Chacun avait son trot et son allure,
Chacun piquait à l’envi sa monture, etc.

On a pris la peine de faire environ trois cents vers dans ce goût, et de les attribuer à l’auteur de la Henriade : il y a des vers pour la bonne compagnie, il y en a pour la canaille, et cela est absolument égal pour quelques libraires de Hollande et d’Avignon.

  1. La Fontaine, livre IX, fable xvii, vers 12-13.
  2. Horace, Art poét., 248