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tion du Siècle de Louis XIV, qu’il a soin de falsifier en plusieurs endroits importants, et qu’il enrichit de notes de sa main ; dans ces notes, il outrage tous les généraux, tous les ministres, le roi même et la famille royale ; mais c’est avec ce ton de supériorité et de fierté qui sied si bien à un homme de son état, consommé dans la connaissance de l’histoire.

Il dit très-savamment que les filles hériteraient aujourd’hui de la partie de la Navarre réunie à la couronne ; il assure que le maréchal de Vauban n’était qu’un plagiaire ; il décide que la Pologne ne peut produire un grand homme ; il dit que les savants danois sont tous des ignorants, tous les gentilshommes des imbéciles, et il fait du brave comte de Plélo un portrait ridicule. Il ajoute qu’il ne se fit tuer à Dantzick que parce qu’il s’ennuyait à périr à Copenhague. Non content de tant d’insolences, qui ne pouvaient être lues que parce qu’elles étaient des insolences, il attaque la mémoire du maréchal de Villeroi ; il rapporte à son sujet des contes de la populace ; il s’égaye aux dépens du maréchal de Villars[1]. Un La Beaumelle donner des ridicules au maréchal de Villars ! Il outrage le marquis de Torcy, le marquis de la Vrillière, deux ministres chers à la nation par leur probité. Il exhorte tous les auteurs à sévir contre M. Chamillart ; ce sont ses termes.

Enfin il calomnie Louis XIV au point de dire qu’il empoisonna le marquis de Louvois ; et, après cette criminelle démence, qui l’exposait aux châtiments les plus sévères, il vomit les mêmes calomnies contre le frère et le neveu de Louis XIV[2].

Qu’arrive-t-il d’un tel ouvrage ? De jeunes provinciaux, de jeunes étrangers, cherchent chez des libraires le Siècle de Louis XIV. Le libraire demande si on veut ce livre avec des notes savantes. L’acheteur répond qu’il veut sans doute l’ouvrage complet. On lui vend celui de La Beaumelle.

Les donneurs de conseils vous disent : « Méprisez cette infamie, l’auteur ne vaut pas la peine qu’on en parle. » Voilà un plaisant avis. C’est-à-dire qu’il faut laisser triompher l’imposture. Non, il faut la faire connaître. On punit très-souvent ce qu’on méprise ; et même, à proprement parler, on ne punit que cela, car tout délit est honteux.

Cependant cet honnête homme ayant osé se montrer à Paris, on s’est contenté de l’enfermer pendant quelque temps à Bicêtre[3] ;

  1. Voyez tome XV, page 120.
  2. Voyez tome XIV, page 477 ; XV, 87, 125.
  3. À la Bastille.