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rendit bien. Il en fit de fort médiocres contre Lulli, qui n’avait pas voulu mettre en musique son détestable opéra de Daphné, et qui se moqua de son opéra et de sa satire. « J’aimerais mieux, dit-il, mettre en musique sa satire que son opéra. »

Rousseau le poète fit quelques bons vers et beaucoup de mauvais contre tous les poëtes de son temps, qui le payèrent en même monnaie.

Pour les auteurs qui, dans les discours préliminaires de leurs tragédies ou comédies tombées dans un éternel oubli, entrent amicalement dans tous les détails de leurs pièces, vous prouvent que l’endroit le plus sifflé est le meilleur ; que le rôle qui a le plus fait bâiller est le plus intéressant ; que leurs vers durs, hérissés de barbarismes et de solécismes, sont des vers dignes de Virgile et de Racine ; ces messieurs sont utiles en un point : c’est qu’ils font voir jusqu’où l’amour-propre peut mener les hommes, et cela sert à la morale.

M. de Voltaire écrivit un jour : « La Henriade vous déplaît, ne la lisez pas. Zaïre, Brutus, Alzire, Mérope, Sémiramis, Mahomet, Tancrède, vous ennuient ; n’y allez pas. Le Siècle de Louis XIV vous paraît écrit d’un style ridicule, à la bonne heure ; vous écrivez bien mieux, et j’en suis fort aise. Je vous jure que je ne serai jamais assez sot pour prendre le parti de ma manière d’écrire contre la vôtre.

« Mais si vous accusez de mauvaise foi et de mensonges imprimés un historien impartial, amateur de la vérité et des hommes ; si vous imprimez et réimprimez vous-mêmes des mensonges, soit par la noble envie qui ronge votre belle âme, soit pour tirer dix écus d’un libraire, je tiens qu’alors il faut éclaircir les faits. Il est bon que le public soit instruit, il s’agit ici de son intérêt. J’ai fort bien fait de produire le certificat du roi Stanislas[1] qui atteste la vérité de tous les faits rapportés dans l’Histoire de Charles XII. Les aboyeurs folliculaires sont confondus alors, et le public est éclairé.

« Si votre zèle pour la vérité et pour les mœurs va jusqu’à la calomnie la plus atroce, jusqu’à certaines impostures capables de perdre un pauvre auteur auprès du gouvernement et du monarque, il est clair alors que c’est un procès criminel que vous lui faites, et que le malheureux sifflé, opprimé, que vous voudriez encore faire pendre, doit au moins défendre sa cause avec toute la circonspection possible. »

  1. Voyez, tome XVI, page 142, l’Avis important sur l’histoire de Charles XII.