Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et à l’élégance de ses ouvrages. C’était la meilleure façon de répondre à son adversaire.

Corneille disait de ses critiques : « S’ils me disent pois, je leur répondrai fèves. » En conséquence, il fit contre le modeste Scudéri[1] ce rondeau un peu immodeste :

Qu’il fasse mieux ce jeune jouvencel,
À qui le Cid donne tant de martel,
Que d’entasser injure sur injure,
Rimer de rage une lourde imposture-[2],
Et se cacher ainsi qu’un criminel.
Chacun connaît son jaloux naturel,
Le montre au doigt comme un fou solennel,
Et ne croit pas, en sa bonne écriture,
S’il veut terQu’il fasse mieux.

Paris entier ayant vu son cartel,
L’envoie au diable, et sa muse au b…
Moi, j’ai pitié des peines qu’il endure ;
Et comme ami je le prie et conjure,
S’il veut ternir un ouvrage immortel,
S’il veut terQu’il fasse mieux.

Il eut ensuite le malheur de répondre à l’abbé d’Aubignac, prédicateur du roi, qui faisait des tragédies comme il prêchait, et qui, pour se consoler des sifflets dont on avait régalé sa Zénobie, se mit à dire des injures à l’auteur de Cinna. Corneille eût mieux fait de s’envelopper dans sa gloire et dans sa modestie que de répondre fèves à l’abbé d’Aubignac, qui lui avait dit pois.

Racine, dans quelques-unes de ses préfaces, a fait sentir l’aiguillon à ses critiques ; mais il était bien pardonnable d’être un peu fâché contre ceux qui envoyaient leurs laquais battre des mains à la Phèdre de Pradon, et qui retenaient les loges à la Phèdre de Racine pour les laisser vides, et pour faire accroire qu’elle était tombée. C’étaient là de grands protecteurs des lettres : c’étaient le duc Zoïle, le comte Bavius, et le marquis Mévius.

Molière s’y prit d’une autre façon. Cotin, Ménage, Boursault, l’avaient attaqué ; il mit Boursault, Cotin et Ménage sur le théâtre.

La Fontaine, qui a tant embelli la vérité dans plusieurs de ses fables, fit de très-mauvais vers contre Furetière, qui le lui

  1. Ce n’est pas contre Scudéri, mais contre Mairet qu’est fait le rondeau de Corneille.
  2. L’Autheur du vray Cid espagnol à son traducteur françois, que Corneille
    attribua à Mairet.