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ANDRÉ DESTOUCHES À SIAM.

saints sacrifices ! Mais au moins il nous reste, grâces au ciel, quelques bonnes âmes qui les imiteraient si on les laissait faire.

andré destouches.

Dites-moi, je vous prie, monsieur, si vous divisez à Siam le ton majeur en deux comma et deux semi-comma, et si le progrès du son fondamental se fait par 1, 3, et 9.

croutef.

Par Sammonocodom, vous vous moquez de moi. Vous n’avez point de tenue ; vous m’avez interrogé sur la forme de notre gouvernement, et vous me parlez de musique.

andré destouches.

La musique tient à tout ; elle était le fondement de toute la politique des Grecs. Mais, pardon ; puisque vous avez l’oreille dure, revenons à notre propos. Vous disiez donc que pour faire un accord parfait…

croutef.

Je vous disais qu’autrefois le Tartare tondu prétendait disposer de tous les royaumes de l’Asie, ce qui était fort loin de l’accord parfait ; mais il en résultait un grand bien : on était beaucoup plus dévot à Sammonocodom et à son éléphant que dans nos jours, où tout le monde se mêle de prétendre au sens commun avec une indiscrétion qui fait pitié. Cependant tout va ; on se réjouit, on danse, on joue, on dîne, on soupe, on fait l’amour : cela fait frémir tous ceux qui ont de bonnes intentions.

andré destouches.

Et que voulez-vous de plus ? Il ne vous manque qu’une bonne musique. Quand vous l’aurez, vous pourrez hardiment vous dire la plus heureuse nation de la terre.

FIN D’ANDRÉ DESTOUCHES À SIAM.