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CHAPITRE XIV.

Un tel discours était incompréhensible pour les Juifs charnels ; mais ce n’était pas une accusation de vouloir fonder une nouvelle secte.

Le grand prêtre l’interrogea, et lui dit[1] : « Je vous commande par le Dieu vivant de nous dire si vous êtes le Christ fils de Dieu. » On ne nous apprend point ce que le grand prêtre entendait par fils de Dieu. On se servait quelquefois de cette expression pour signifier un juste[2], comme on employait les mots de fils de Bélial pour signifier un méchant. Les Juifs grossiers n’avaient aucune idée du mystère sacré d’un fils de Dieu, Dieu lui-même, venant sur la terre.

Jésus lui répondit[3] : « Vous l’avez dit ; mais je vous dis que vous verrez bientôt le fils de l’homme assis à la droite de la vertu de Dieu, venant sur les nuées du ciel. »

Cette réponse fut regardée par le sanhédrin irrité comme un blasphème. Le sanhédrin n’avait plus le droit du glaive ; ils traduisirent Jésus devant le gouverneur romain de la province, et l’accusèrent calomnieusement d’être un perturbateur du repos public, qui disait qu’il ne fallait pas payer le tribut à César, et qui de plus se disait roi des Juifs. Il est donc de la plus grande évidence qu’il fut accusé d’un crime d’État.

Le gouverneur Pilate, ayant appris qu’il était Galiléen, le renvoya d’abord à Hérode, tétrarque de Galilée. Hérode crut qu’il était impossible que Jésus pût aspirer à se faire chef de parti, et prétendre à la royauté ; il le traita avec mépris, et le renvoya à Pilate, qui eut l’indigne faiblesse de le condamner pour apaiser le tumulte excité contre lui-même, d’autant plus qu’il avait essuyé déjà une révolte des Juifs, à ce que nous apprend Josèphe. Pilate n’eut pas la même générosité qu’eut depuis le gouverneur Festus[4].

  1. Matthieu, chap. xxvi, v. 63.
  2. Il était en effet très-difficile aux Juifs, pour ne pas dire impossible, de comprendre, sans une révélation particulière, ce mystère ineffable de l’incarnation du Fils de Dieu, Dieu lui-même. La Genèse (chap. vi) appelle fils de Dieu les fils des hommes puissants : de même, les grands cèdres, dans les psaumes [lxxix, 11], sont appelés les cèdres de Dieu. Samuel [I. Rois, xvi, 15] dit qu’une frayeur de Dieu tomba sur le peuple, c’est-à-dire une grande frayeur ; un grand vent, un vent de Dieu ; la maladie de Saül, mélancolie de Dieu. Cependant il paraît que les Juifs entendirent à la lettre que Jésus se dit fils de Dieu dans le sens propre ; mais s’ils regardèrent ces mots comme un blasphème, c’est peut-être encore une preuve de l’ignorance où ils étaient du mystère de l’incarnation, et de Dieu, fils de Dieu, envoyé sur la terre pour le salut des hommes. (Note de Voltaire.)
  3. Matthieu, xxvi, 64.
  4. Acta apost., xxv, 16.