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SI L’INTOLÉRANCE A ÉTÉ ENSEIGNÉE PAR J.-C.

ne dût point en effet dîner avec ses parents et ses amis dès qu’ils ont un peu de fortune ?

Jésus-Christ, après la parabole du festin, dit[1] : « Si quelqu’un vient à moi, et ne hait pas son père, sa mère, ses frères, ses sœurs, et même sa propre âme, il ne peut être mon disciple, etc. Car qui est celui d’entre vous qui, voulant bâtir une tour, ne suppute pas auparavant la dépense ? » Y a-t-il quelqu’un, dans le monde, assez dénaturé pour conclure qu’il faut haïr son père et sa mère ? Et ne comprend-on pas aisément que ces paroles signifient : Ne balancez pas entre moi et vos plus chères affections ?

On cite le passage de saint Matthieu[2] : « Qui n’écoute point l’Église soit comme un païen et comme un receveur de la douane » ; cela ne dit pas absolument qu’on doive persécuter les païens et les fermiers des droits du roi : ils sont maudits, il est vrai, mais ils ne sont point livrés au bras séculier. Loin d’ôter à ces fermiers aucune prérogative de citoyen, on leur a donné les plus grands priviléges ; c’est la seule profession qui soit condamnée dans l’Écriture, et c’est la plus favorisée par les gouvernements. Pourquoi donc n’aurions-nous pas pour nos frères errants autant d’indulgence que nous prodiguons de considération à nos frères les traitants ?

Un autre passage dont on a fait un abus grossier est celui de saint Matthieu[3] et de saint Marc[4], où il est dit que Jésus, ayant faim le matin, approcha d’un figuier où il ne trouva que des feuilles, car ce n’était pas le temps des figues : il maudit le figuier, qui se sécha aussitôt.

On donne plusieurs explications différentes de ce miracle ; mais y en a-t-il une seule qui puisse autoriser la persécution ? Un figuier n’a pu donner des figues vers le commencement de mars, on l’a séché : est-ce une raison pour faire sécher nos frères de douleur dans tous les temps de l’année ? Respectons dans l’Écriture tout ce qui peut faire naître des difficultés dans nos esprits curieux et vains, mais n’en abusons pas pour être durs et implacables.

L’esprit persécuteur, qui abuse de tout, cherche encore sa justification dans l’expulsion des marchands chassés du temple, et dans la légion de démons envoyée du corps d’un possédé dans le corps de deux mille animaux immondes. Mais qui ne voit que

  1. Saint Luc, chap. xiv, v. 26 et suiv. (Note de Voltaire.)
  2. Saint Matthieu, chap. xviii, v. 17. (Id.)
  3. Matthieu, xi, 19.
  4. Marc, xi, 13.