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CHAPITRE XII.

mère. Alors ils allèrent avec assurance attaquer le village nommé Laïs, et y mirent tout à feu et à sang selon leur coutume. Ils donnèrent le nom de Dan à Laïs, en mémoire de leur victoire ; ils placèrent l’idole de Michas sur un autel ; et, ce qui est bien plus remarquable, Jonathan, petit-fils de Moïse, fut le grand prêtre de ce temple, où l’on adorait le Dieu d’Israël et l’idole de Michas.

Après la mort de Gédéon, les Hébreux adorèrent Baal-bérith pendant près de vingt ans, et renoncèrent au culte d’Adonaï, sans qu’aucun chef, aucun juge, aucun prêtre, criât vengeance. Leur crime était grand, je l’avoue ; mais si cette idolâtrie même fut tolérée, combien les différences dans le vrai culte ont-elles dû l’être !

Quelques-uns donnent pour une preuve d’intolérance que le Seigneur lui-même ayant permis que son arche fût prise par les Philistins dans un combat, il ne punit les Philistins qu’en les frappant d’une maladie secrète ressemblant aux hémorroïdes, en renversant la statue de Dagon, et en envoyant une multitude de rats dans leurs campagnes ; mais, lorsque les Philistins, pour apaiser sa colère, eurent renvoyé l’arche attelée de deux vaches qui nourrissaient leurs veaux, et offert à Dieu cinq rats d’or, et cinq anus d’or, le Seigneur fit mourir soixante et dix anciens d’Israël et cinquante mille hommes du peuple pour avoir regardé l’arche. On répond que le châtiment du Seigneur ne tombe point sur une croyance, sur une différence dans le culte, ni sur aucune idolâtrie.

Si le Seigneur avait voulu punir l’idolâtrie, il aurait fait périr tous les Philistins qui osèrent prendre son arche, et qui adoraient Dagon ; mais il fit périr cinquante mille soixante et dix hommes de son peuple, uniquement parce qu’ils avaient regardé son arche, qu’ils ne devaient pas regarder : tant les lois, les mœurs de ce temps, l’économie judaïque, diffèrent de tout ce que nous connaissons ; tant les voies inscrutables de Dieu sont au-dessus des nôtres. « La rigueur exercée, dit le judicieux dom Calmet, contre ce grand nombre d’hommes ne paraîtra excessive qu’à ceux qui n’ont pas compris jusqu’à quel point Dieu voulait être craint et respecté parmi son peuple, et qui ne jugent des vues et des desseins de Dieu qu’en suivant les faibles lumières de leur raison. »

Dieu ne punit donc pas un culte étranger, mais une profanation du sien, une curiosité indiscrète, une désobéissance, peut-être même un esprit de révolte. On sent bien que de tels châ-