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CHAPITRE X.
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cipes de l’humanité ? et de quel front pouvons-nous reprocher aux païens d’avoir fait des martyrs, tandis que nous avons été coupables de la même cruauté dans les mêmes circonstances ?

Accordons que les Romains ont fait mourir une multitude de chrétiens pour leur seule religion : en ce cas, les Romains ont été très-condamnables. Voudrions-nous commettre la même injustice ? Et quand nous leur reprochons d’avoir persécuté, voudrions-nous être persécuteurs ?

S’il se trouvait quelqu’un assez dépourvu de bonne foi, ou assez fanatique, pour me dire ici : Pourquoi venez-vous développer nos erreurs et nos fautes ? pourquoi détruire nos faux miracles et nos fausses légendes ? Elles sont l’aliment de la piété de plusieurs personnes ; il y a des erreurs nécessaires ; n’arrachez pas du corps un ulcère invétéré qui entraînerait avec lui la destruction du corps : voici ce que je lui répondrais.

Tous ces faux miracles par lesquels vous ébranlez la foi qu’on doit aux véritables, toutes ces légendes absurdes que vous ajoutez aux vérités de l’Évangile, éteignent la religion dans les cœurs ; trop de personnes qui veulent s’instruire, et qui n’ont pas le temps de s’instruire assez, disent : Les maîtres de ma religion m’ont trompé, il n’y a donc point de religion ; il vaut mieux se jeter dans les bras de la nature que dans ceux de l’erreur ; j’aime mieux dépendre de la loi naturelle que des inventions des hommes. D’autres ont le malheur d’aller encore plus loin : ils voient que l’imposture leur a mis un frein, et ils ne veulent pas même du frein de la vérité, ils penchent vers l’athéisme ; on devient dépravé parce que d’autres ont été fourbes et cruels.

Voilà certainement les conséquences de toutes les fraudes pieuses et de toutes les superstitions. Les hommes d’ordinaire ne raisonnent qu’à demi ; c’est un très-mauvais argument que de dire : Voragine, l’auteur de la Légende dorée[1], et le jésuite Ribadeneira, compilateur de la Fleur des saints[2], n’ont dit que des sottises : donc il n’y a point de Dieu ; les catholiques ont égorgé un certain nombre de huguenots, et les huguenots à leur tour ont assassiné un certain nombre de catholiques : donc il n’y a point de Dieu ; on s’est servi de la confession, de la communion, et de tous les sacrements, pour commettre les crimes les plus horribles : donc il n’y a point de Dieu. Je conclurais au contraire : donc il y a un

  1. Voyez, tome XIII, la note 2 de la page 175.
  2. Voyez, tome X, une note du Russe à Paris et une du Marseillais et le Lion ; tome XVIII, page 491, et tome XXI, page 304.