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DES DÉLITS ET DES PEINES.

avec personne ; vous le chargez de fers, comme si vous l’aviez déjà jugé coupable. Les témoins qui déposent contre lui sont entendus secrètement ; il ne les voit qu’un moment à la confrontation ; avant d’entendre leurs dépositions, il doit alléguer les moyens de reproches qu’il a contre eux ; il faut les circonstancier ; il faut qu’il nomme au même instant toutes les personnes qui peuvent appuyer ces moyens ; il n’est plus admis aux reproches après la lecture des dépositions. S’il montre aux témoins, ou qu’ils ont exagéré des faits, ou qu’ils en ont omis d’autres, ou qu’ils se sont trompés sur des détails, la crainte du supplice les fera persister dans leur parjure. Si des circonstances que l’accusé aura énoncées dans son interrogatoire sont rapportées différemment par les témoins, c’en sera assez à des juges, ou ignorants, ou prévenus, pour condamner un innocent.

Quel est l’homme que cette procédure n’épouvante pas ? quel est l’homme juste qui puisse être sûr de n’y pas succomber ? Ô juges ! voulez-vous que l’innocent accusé ne s’enfuie pas, facilitez-lui les moyens de se défendre.

La loi semble obliger le magistrat à se conduire envers l’accusé plutôt en ennemi qu’en juge. Ce juge est le maître d’ordonner[1] la confrontation du prévenu avec le témoin, ou de l’omettre. Comment une chose aussi nécessaire que la confrontation peut-elle être arbitraire ?

L’usage semble en ce point contraire à la loi, qui est équivoque ; il y a toujours confrontation, mais le juge ne confronte pas toujours tous les témoins ; il omet souvent ceux qui ne lui semblent pas faire une charge considérable : cependant tel témoin qui n’a rien dit contre l’accusé dans l’information peut déposer en sa faveur à la confrontation. Le témoin peut avoir oublié des circonstances favorables au prévenu ; le juge même peut n’avoir pas senti d’abord la valeur de ces circonstances, et ne les avoir pas rédigées. Il est donc très-important que l’on confronte tous les témoins avec le prévenu, et qu’en ce point la confrontation ne soit pas arbitraire.

S’il s’agit d’un crime, le prévenu ne peut avoir d’avocat ; alors il prend le parti de la fuite : c’est ce que toutes les maximes du barreau lui conseillent ; mais, en fuyant, il peut être condamné, soit que le crime ait été prouvé, soit qu’il ne l’ait pas été. Ainsi donc un homme à qui l’on demande quelque argent n’est con-

  1. Et, si besoin est, confrontez, dit l’ordonnance de 1670, titre xv, article Ier. (Note de Voltaire.)