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DES DÉLITS ET DES PEINES.

Ce fut précisément le cas du respectable François-Auguste de Thou, conseiller d’État, fils du seul bon historien dont la France pouvait se vanter, égal à Guichardin par ses lumières, et supérieur peut-être par son impartialité.

La conspiration était tramée beaucoup plus contre le cardinal de Richelieu que contre Louis XIII. Il ne s’agissait point de livrer la France à des ennemis : car le frère du roi, principal auteur de ce complot, ne pouvait avoir pour but de livrer un royaume dont il se regardait encore comme l’héritier présomptif, ne voyant entre le trône et lui qu’un frère aîné mourant et deux enfants au berceau.

De Thou n’était coupable ni devant Dieu ni devant les hommes. Un des agents de Monsieur, frère unique du roi, du duc de Bouillon, prince souverain de Sedan, et du grand écuyer d’Effiat Cinq-Mars, avait communiqué de bouche le plan du complot au conseiller d’État. Celui-ci alla trouver le grand écuyer Cinq-Mars, et fit ce qu’il put pour le détourner de cette entreprise ; il lui en remontra les difficultés. S’il eût alors dénoncé les conspirateurs, il n’avait aucune preuve contre eux ; il eût été accablé par la dénégation de l’héritier présomptif de la couronne, par celle d’un prince souverain, par celle du favori du roi, enfin par l’exécration publique. Il s’exposait à être puni comme un lâche calomniateur.

Le chancelier Séguier même en convint en confrontant de Thou avec le grand écuyer. Ce fut dans cette confrontation que de Thou dit à Cinq-Mars ces propres paroles, mentionnées au procès-verbal : « Souvenez-vous, monsieur, qu’il ne s’est point passé de journée que je ne vous aie parlé de ce traité pour vous en dissuader. » Cinq-Mars reconnut cette vérité. De Thou méritait donc une récompense plutôt que la mort au tribunal de l’équité humaine. Il méritait au moins que le cardinal de Richelieu l’épargnât ; mais l’humanité n’était pas sa vertu. C’est bien ici le cas de quelque chose de plus que summum jus, summa injuria. L’arrêt de mort de cet homme de bien porte : « Pour avoir eu connaissance et participation desdites conspirations ; » il ne dit point : pour ne les avoir pas révélées. Il semble que le crime soit d’être instruit d’un crime, et qu’on soit digne de mort pour avoir des yeux et des oreilles[1].

Tout ce qu’on peut dire peut-être d’un tel arrêt, c’est qu’il ne 

  1. La culpabilité de de Thou est clairement ressortie de récents travaux historiques.