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DES DÉLITS ET DES PEINES.

chez les jésuites. Le prédicant Ferry[1] l’engagea dans la religion protestante à Metz. Étant retourné à Nancy, on lui fit son procès comme à un hérétique, et si un ami ne l’avait fait sauver, il allait périr par la corde. Réfugié à Sedan, on le soupçonna d’être papiste, et on voulut l’assassiner.

Voyant par quelle étrange fatalité sa vie n’était en sûreté ni chez les protestants ni chez les catholiques, il alla se faire juif à Venise. Il se persuada très-sincèrement, et il soutint jusqu’au dernier moment de la vie que la religion juive était la seule véritable, et que, puisqu’elle l’avait été autrefois, elle devait l’être toujours. Les juifs ne le circoncirent point, de peur de se faire des affaires avec le magistrat ; mais il n’en fut pas moins juif intérieurement. Il n’en fit point profession ouverte ; et même, étant allé à Genève en qualité de prédicant, il y fut premier régent du collége, et enfin il devint ce qu’on appelle ministre.

Le combat perpétuel qui s’excitait dans son cœur entre la secte de Calvin, qu’il était obligé de prêcher, et la religion mosaïque à laquelle seule il croyait, le rendit longtemps malade. Il tomba dans une mélancolie et dans une maladie cruelle ; troublé par ses douleurs, il s’écria qu’il était juif. Des ministres vinrent le visiter, et tâchèrent de le faire rentrer en lui-même ; il leur répondit qu’il n’adorait que le Dieu d’Israël, qu’il était impossible que Dieu changeât, que Dieu ne pouvait avoir donné lui-même et gravé de sa main une loi pour l’abolir. Il parla contre le christianisme ; ensuite il se dédit ; il écrivit une profession de foi pour échapper à la condamnation ; mais après l’avoir écrite, la malheureuse persuasion où il était ne lui permit pas de la signer. Le conseil de la ville assembla les prédicants pour savoir ce qu’il devait faire de cet infortuné. Le petit nombre de ces prêtres opina qu’on devait avoir pitié de lui, qu’il fallait plutôt tâcher de guérir sa maladie du cerveau que la punir. Le plus grand nombre décida qu’il méritait d’être brûlé, et il le fut. Cette aventure est de 1632[2]. Il faut cent ans de raison et de vertu pour expier un pareil jugement[3].

  1. Paul Ferry, ministre de la religion protestante, né en 1591, mort en 1669.
  2. Jacob Spon, page 500 ; et Gui Vances. (Note de Voltaire.)
  3. Nicolas Antoine fut condamné et exécuté le 20 avril 1632. Il a un article dans le Dictionnaire de Chaufepié, qui le nomme Anthoine.