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COMMENTAIRE SUR LE LIVRE

châtiment exemplaire ; mais mérite-t-il des tourments qui effrayent la nature et une mort épouvantable ?

Il a offensé Dieu ; oui, sans doute, et très-gravement. Usez-en avec lui comme Dieu même. S’il fait pénitence, Dieu lui pardonne. Imposez-lui une pénitence forte, et pardonnez-lui.

Votre illustre Montesquieu a dit : « Il faut honorer la Divinité, et non la venger[1]. » Pesons ces paroles : elles ne signifient pas qu’on doive abandonner le maintien de l’ordre public ; elles signifient, comme le dit le judicieux auteur Des Délits et des Peines, qu’il est absurde qu’un insecte croie venger l’Être suprême. Ni un juge de village, ni un juge de ville, ne sont des Moïse et des Josué.



VI.
indulgence des romains sur ces objets.

D’un bout de l’Europe à l’autre, le sujet de la conversation des honnêtes gens instruits roule souvent sur cette différence prodigieuse entre les lois romaines et tant d’usages barbares qui leur ont succédé, comme les immondices d’une ville superbe qui couvrent ses ruines.

Certes le sénat romain avait un aussi profond respect que nous pour le Dieu suprême, et autant pour les dieux immortels et secondaires, dépendants de leur maître éternel, que nous en montrons pour nos saints,

Ab Jove principium...,

(Virg., Ecl. III, 12.)


était la formule ordinaire[2]. Pline, dans le panégyrique du bon Trajan, commence par attester que les Romains ne manquèrent jamais d’invoquer Dieu en commençant leurs affaires ou leurs discours. Cicéron, Tite-Live, l’attestent. Nul peuple ne fut plus religieux ; mais aussi il était trop sage et trop grand pour descendre à punir de vains discours ou des opinions philosophiques. Il était incapable d’infliger des supplices barbares à ceux qui doutaient des augures, comme Cicéron, augure lui-même, en dou-

  1. Esprit des lois, xii, 4.
  2. « Bene ac sapienter, patres conscripti, majores instituerunt, ut rerum agendarum, ita dicendi initium a precationibus capere, etc. » Pline le jeune, Panégyrique de Trajan, ch. i. (Note de Voltaire.)