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DES DÉLITS ET DES PEINES

blement homme de bien, sollicita la grâce de Priscillien ; mais les évêques l’accusèrent lui-même d’être hérétique, et il s’en retourna à Tours, de peur qu’on ne lui fît donner la question à Trêves.

Quant à Priscillien, il eut la consolation, après avoir été pendu, qu’il fut honoré de sa secte comme un martyr. On célébra sa fête, et on le fêterait encore s’il y avait des priscillianistes.

Cet exemple fit frémir toute l’Église, mais bientôt après il fut imité et surpassé. On avait fait périr des priscillianistes par le glaive, par la corde, et par la lapidation. Une jeune dame de qualité, soupçonnée d’avoir jeûné le dimanche, n’avait été que lapidée dans Bordeaux[1]. Ces supplices parurent trop légers ; on prouva que Dieu exigeait que les hérétiques fussent brûlés à petit feu. La raison péremptoire qu’on en donnait, c’était que Dieu les punit ainsi dans l’autre monde[2], et que tout prince, tout lieutenant du prince, enfin le moindre magistrat, est l’image de Dieu dans ce monde-ci.

Ce fut sur ce principe qu’on brûla partout des sorciers, qui étaient visiblement sous l’empire du diable, et les hétérodoxes, qu’on croyait encore plus criminels et plus dangereux que les sorciers.

On ne sait pas bien précisément quelle était l’hérésie des chanoines que le roi Robert, fils de Hugues, et Constance sa femme, allèrent faire brûler[3] en leur présence à Orléans en 1022. Comment le saurait-on ? il n’y avait alors qu’un très-petit nombre de clercs et de moines qui eussent l’usage de l’écriture. Tout ce qui est constaté, c’est que Robert et sa femme rassasièrent leurs yeux de ce spectacle abominable. L’un des sectaires avait été le confesseur de Constance ; cette reine ne crut pas pouvoir mieux réparer le malheur de s’être confessée à un hérétique qu’en le voyant dévorer par les flammes.

L’habitude devient loi ; et depuis ce temps jusqu’à nos jours, c’est-à-dire pendant plus de sept cents années, on a brûlé ceux qui ont été ou qui ont paru être souillés du crime d’une opinion erronée.

  1. Voyez l’Histoire de l’Église. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez tome XII, page 323 ; tome XV, page 504 : et le paragraphe xxii de l’opuscule De la Paix perpétuelle.
  3. Voyez tome XI, page 380.