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CHAPITRE VIII.

nom du dieu Anubis, avec une femme nommée Pauline. Il est vrai que Josèphe est le seul qui rapporte cette histoire ; il n’était pas contemporain, il était crédule et exagérateur. Il y a peu d’apparence que, dans un temps aussi éclairé que celui de Tibère, une dame de la première condition eût été assez imbécile pour croire avoir les faveurs du dieu Anubis.

Mais que cette anecdote soit vraie ou fausse, il demeure certain que la superstition égyptienne avait élevé un temple à Rome avec le consentement public. Les Juifs y commerçaient dès le temps de la guerre punique ; ils y avaient des synagogues du temps d’Auguste, et ils les conservèrent presque toujours, ainsi que dans Rome moderne. Y a-t-il un plus grand exemple que la tolérance était regardée par les Romains comme la loi la plus sacrée du droit des gens ?

On nous dit qu’aussitôt que les chrétiens parurent, ils furent persécutés par ces mêmes Romains qui ne persécutaient personne. Il me paraît évident que ce fait est très-faux ; je n’en veux pour preuve que saint Paul lui-même. Les Actes des apôtres nous apprennent que[1], saint Paul étant accusé par les Juifs de vouloir détruire la loi mosaïque par Jésus-Christ, saint Jacques proposa à saint Paul de se faire raser la tête, et d’aller se purifier dans le temple avec quatre Juifs, « afin que tout le monde sache que tout ce que l’on dit de vous est faux, et que vous continuez à garder la loi de Moïse ».

Paul, chrétien, alla donc s’acquitter de toutes les cérémonies judaïques pendant sept jours ; mais les sept jours n’étaient pas encore écoulés quand des Juifs d’Asie le reconnurent ; et, voyant qu’il était entré dans le temple, non-seulement avec des Juifs, mais avec des Gentils, ils crièrent à la profanation : on le saisit, on le mena devant le gouverneur Félix, et ensuite on s’adressa au tribunal de Festus. Les Juifs en foule demandèrent sa mort ; Festus leur répondit[2] : « Ce n’est point la coutume des Romains de condamner un homme avant que l’accusé ait ses accusateurs devant lui, et qu’on lui ait donné la liberté de se défendre. »

Ces paroles sont d’autant plus remarquables dans ce magistrat romain qu’il paraît n’avoir eu nulle considération pour saint Paul, n’avoir senti pour lui que du mépris : trompé par les fausses lumières de sa raison, il le prit pour un fou ; il lui dit à lui-même

  1. Chapitres xxi et xxiv. (Note de Voltaire.)
  2. Actes, chapitre xxv, v. 16. (Id.)