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SI LES ROMAINS ONT ÉTÉ TOLÉRANTS.

voyez pas un seul homme persécuté pour ses sentiments. Cicéron douta de tout, Lucrèce nia tout ; et on ne leur en fit pas le plus léger reproche. La licence même alla si loin que Pline le Naturaliste commence son livre par nier un Dieu, et par dire qu’il en est un, c’est le soleil. Cicéron dit, en parlant des enfers : « Non est anus tam excors quæ credat ; il n’y a pas même de vieille imbécile pour les croire[1]. » Juvénal dit : « Nec pueri credunt (satire ii, vers 152) ; les enfants n’en croient rien. » On chantait sur le théâtre de Rome :

Post mortem nihil est, ipsaque mors nihil.

(Sénèque, Troade ; chœur à la fin du second acte.)

Rien n’est après la mort, la mort même n’est rien.


Abhorrons ces maximes, et, tout au plus, pardonnons-les à un peuple que les évangiles n’éclairaient pas : elles sont fausses, elles sont impies ; mais concluons que les Romains étaient très-tolérants, puisqu’elles n’excitèrent jamais le moindre murmure.

Le grand principe du sénat et du peuple romain était : « Deorum offensæ diis curæ ; c’est aux dieux seuls à se soucier des offenses faites aux dieux. » Ce peuple-roi ne songeait qu’à conquérir, à gouverner et à policer l’univers. Ils ont été nos législateurs, comme nos vainqueurs ; et jamais César, qui nous donna des fers, des lois, et des jeux, ne voulut nous forcer à quitter nos druides pour lui, tout grand pontife qu’il était d’une nation notre souveraine.

Les Romains ne professaient pas tous les cultes, ils ne donnaient pas à tous la sanction publique ; mais ils les permirent tous. Ils n’eurent aucun objet matériel de culte sous Numa, point de simulacres, point de statues ; bientôt ils en élevèrent aux dieux majorum gentium, que les Grecs leur firent connaître. La loi des douze tables, Deos peregrinos ne colunto[2], se réduisit à n’accorder le culte public qu’aux divinités supérieures approuvées par le sénat. Isis eut un temple dans Rome, jusqu’au temps où Tibère le démolit, lorsque les prêtres de ce temple, corrompus par l’argent de Mundus, le firent coucher dans le temple, sous le

  1. Voici le texte de Cicéron : « Quæve anus tam excors inveniri potest, quæ illa, quæ quondam credebantur, apud inferos portenta extimescat. » (De Natura deorum, lib. II, cap. ii.)
  2. Voyez le texte de Cicéron, rapporté par Voltaire tome XI, page 147 ; et plus loin, dans Un Chrétien contre six Juifs, paragraphe xxi.