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SUR LES CALAS ET LES SIRVEN.


velles que cette famille apprend quand elle est en lieu de sûreté, c’est que le père et la mère sont condamnés au dernier supplice, et que les deux sœurs, déclarées également coupables, sont bannies à perpétuité[1] ; que leur bien est confisqué, et qu’il ne leur reste plus rien au monde que l’opprobre et la misère.

C’est ce qu’on peut voir plus au long dans le chef-d’œuvre de M. de Beaumont, avec les preuves complètes de la plus pure innocence et de la plus détestable injustice.

La Providence, qui a permis que les premières tentatives qui ont produit la justification de Calas, mort sur la roue, en Languedoc, vinssent du fond des montagnes et des déserts voisins de la Suisse, a voulu encore que la vengeance des Sirven vînt des mêmes solitudes. Les enfants de Calas s’y réfugièrent ; la famille de Sirven y chercha un asile dans le même temps. Les hommes compatissants et vraiment religieux qui ont eu la consolation de servir ces deux familles infortunées, et qui les premiers ont respecté leurs désastres et leur vertu, ne purent alors faire présenter des requêtes pour les Sirven comme pour les Calas, parce que le procès criminel contre les Sirven s’instruisit plus lentement, et dura plus longtemps. Et puis comment une famille errante, à quatre cents milles de sa patrie, pouvait-elle recouvrer les pièces nécessaires à sa justification ? Que pouvaient un père accablé, une femme mourante, et qui en effet est morte de sa douleur, et deux filles aussi malheureuses que le père et la mère ? Il fallait demander juridiquement la copie de leur procès ; des formes peut-être nécessaires, mais dont l’effet est souvent d’opprimer l’innocent et le pauvre, ne le permettaient pas. Leurs parents, intimidés, n’osaient même leur écrire ; tout ce que cette famille put apprendre dans un pays étranger, c’est qu’elle avait été condamnée au supplice dans sa patrie. Si on savait combien il a fallu de soins et de peines pour arracher enfin quelques preuves juridiques en leur faveur, on en serait effrayé. Par quelle fatalité est-il si aisé d’opprimer, et si difficile de secourir ?

On n’a pu employer pour les Sirven les mêmes formes de justice dont on s’est servi pour les Calas, parce que les Calas avaient été condamnés par un parlement, et que les Sirven ne l’ont été que par des juges subalternes, dont la sentence ressortit à ce même parlement. Nous ne répéterons rien ici de ce qu’a dit l’élo-

  1. La sentence prononcée, le 29 mars 1764, par le juge haut justicier de Mazamet, qui avait appelé deux juges de deux petites justices de canton, condamnait les deux filles Sirven au bannissement, après avoir assisté à l’exécution de leurs père et mère.