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RELATION DE LA MORT

prononcer au juge le mot d’attentat contre la religion, fut si hors de lui qu’il se jeta à genoux et fit une confession générale comme s’il eût été devant un prêtre. Le chevalier de La Barre, plus instruit et d’un esprit plus ferme, répondit toujours avec beaucoup de raison, et disculpa Moinel, dont il avait pitié. Cette conduite, qu’il eut jusqu’au dernier moment, prouve qu’il avait une belle âme. Cette preuve aurait dû être comptée pour beaucoup aux yeux de juges intelligents, et ne lui servit de rien.

Dans ce procès, monsieur, qui a eu des suites si affreuses, vous ne voyez que des indécences, et pas une action noire ; vous n’y trouvez pas un seul de ces délits qui sont des crimes chez toutes les nations, point de meurtre, point de brigandage, point de violence, point de lâcheté : rien de ce qu’on reproche à ces enfants ne serait même un délit dans les autres communions chrétiennes. Je suppose que le chevalier de La Barre et M. d’Étallonde aient dit que l’on ne doit pas adorer un dieu de pâte, c’est précisément et mot à mot ce que disent tous ceux de la religion réformée.

Le chancelier d’Angleterre prononcerait ces mots en plein parlement sans qu’ils fussent relevés par personne. Lorsque milord Lockhart était ambassadeur à Paris, un habitué de paroisse porta furtivement l’eucharistie dans son hôtel à un domestique malade qui était catholique ; milord Lockhart, qui le sut, chassa l’habitué de sa maison ; il dit au cardinal Mazarin qu’il ne souffrirait pas cette insulte. Il traita en propres termes l’eucharistie de dieu de pâte et d’idolâtrie. Le cardinal Mazarin lui fit des excuses.

Le grand archevêque Tillotson, le meilleur prédicateur de l’Europe[1], et presque le seul qui n’ait point déshonoré l’éloquence par de fades lieux communs ou par de vaines phrases fleuries comme Cheminais, ou par de faux raisonnements comme Bourdaloue, l’archevêque Tillotson, dis-je, parle précisément de notre eucharistie comme le chevalier de La Barre. Les mêmes paroles respectées dans milord Lockhart à Paris, et dans la bouche de milord Tillotson à Londres, ne peuvent donc être en France qu’un délit local, un délit de lieu et de temps, un mépris de l’opinion vulgaire, un discours échappé au hasard devant une ou deux personnes. N’est-ce pas le comble de la cruauté de punir ces discours secrets du même supplice dont on punirait celui qui aurait empoisonné son père et sa mère, et qui aurait mis le feu aux quatre coins de sa ville ?

Remarquez, monsieur, je vous en supplie, combien on a deux

  1. Voltaire en a déjà parlé, tome IV du Théâtre, page 405.