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DU CHEVALIER DE LA BARRE.

gatoire sur la sellette : il avoue qu’il a en effet prononcé c.., mais il nie tout le reste.

Voilà, monsieur, toutes les accusations portées contre le chevalier de La Barre, le sieur Moinel, le sieur d’Étallonde, Jean-François Douville de Maillefeu, et[1] le fils du nommé Belleval, auteur de toute cette tragédie.

Il est constaté qu’il n’y avait eu aucun scandale public, puisque La Barre et Moinel ne furent arrêtés que sur des monitoires lancés à l’occasion de la mutilation du crucifix, mutilation scandaleuse et publique, dont ils ne furent chargés par aucun témoin. On rechercha toutes les actions de leur vie, leurs conversations secrètes, des paroles échappées un an auparavant ; on accumula des choses qui n’avaient aucun rapport ensemble, et en cela même la procédure fut très-vicieuse. Sans ces monitoires et sans les mouvements violents que se donna Belleval, il n’y aurait jamais eu de la part de ces enfants infortunés ni scandale ni procès criminel : le scandale public n’a été que dans le procès même.

Le monitoire d’Abbeville fit précisément le même effet que celui de Toulouse contre les Calas ; il troubla les cervelles et les consciences. Les témoins, excités par Belleval comme ceux de Toulouse l’avaient été par le capitoul David, rappelèrent, dans leur mémoire, des faits, des discours vagues, dont il n’était guère possible qu’on put se rappeler exactement les circonstances, ou favorables ou aggravantes.

Il faut avouer, monsieur, que s’il y a quelques cas où un monitoire est nécessaire, il y en a beaucoup d’autres où il est très-dangereux. Il invite les gens de la lie du peuple à porter des accusations contre les personnes élevées au-dessus d’eux, dont ils sont toujours jaloux. C’est alors un ordre intimé par l’Église de faire le métier infâme de délateur. Vous êtes menacés de l’enfer si vous ne mettez pas votre prochain en péril de sa vie.

Il n’y a peut-être rien de plus illégal dans les tribunaux de l’Inquisition ; et une grande preuve de l’illégalité de ces monitoires, c’est qu’ils n’émanent point directement des magistrats, c’est le pouvoir ecclésiastique qui les décerne. Chose étrange qu’un ecclésiastique, qui ne peut juger à mort, mette ainsi dans la main des juges le glaive qu’il lui est défendu de porter !

Il n’y eut d’interrogés que le chevalier et le sieur Moinel, enfant d’environ quinze ans. Moinel, tout intimidé et entendant

  1. L’édition de 1775 porte : « Et le sieur de Saveuse. »