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SI L’INTOLÉRANCE A ÉTÉ CONNUE DES GRECS.

Ammon, auquel les Grecs donnèrent le nom de Zeus, et les Latins, de Jupiter, quoique les uns et les autres eussent leur Jupiter et leur Zeus chez eux. Lorsqu’on assiégeait une ville, on faisait un sacrifice et des prières aux dieux de la ville pour se les rendre favorables. Ainsi, au milieu même de la guerre, la religion réunissait les hommes, et adoucissait quelquefois leurs fureurs, si quelquefois elle leur commandait des actions inhumaines et horribles.

Je peux me tromper ; mais il me paraît que de tous les anciens peuples policés, aucun n’a gêné la liberté de penser. Tous avaient une religion ; mais il me semble qu’ils en usaient avec les hommes comme avec leurs dieux : ils reconnaissaient tous un dieu suprême, mais ils lui associaient une quantité prodigieuse de divinités inférieures ; ils n’avaient qu’un culte, mais ils permettaient une foule de systèmes particuliers.

Les Grecs, par exemple, quelque religieux qu’ils fussent, trouvaient bon que les épicuriens niassent la Providence et l’existence de l’âme. Je ne parle pas des autres sectes, qui toutes blessaient les idées saines qu’on doit avoir de l’Être créateur, et qui toutes étaient tolérées.

Socrate, qui approcha le plus près de la connaissance du Créateur, en porta, dit-on, la peine, et mourut martyr de la Divinité ; c’est le seul que les Grecs aient fait mourir pour ses opinions. Si ce fut en effet la cause de sa condamnation, cela n’est pas à l’honneur de l’intolérance, puisqu’on ne punit que celui qui seul rendit gloire à Dieu, et qu’on honora tous ceux qui donnaient de la Divinité les notions les plus indignes. Les ennemis de la tolérance ne doivent pas, à mon avis, se prévaloir de l’exemple odieux des juges de Socrate.

Il est évident d’ailleurs qu’il fut la victime d’un parti furieux animé contre lui. Il s’était fait des ennemis irréconciliables des sophistes, des orateurs, des poëtes, qui enseignaient dans les écoles, et même de tous les précepteurs qui avaient soin des enfants de distinction. Il avoue lui-même, dans son discours rapporté par Platon, qu’il allait de maison en maison prouver à ces précepteurs qu’ils n’étaient que des ignorants. Cette conduite n’était pas digne de celui qu’un oracle avait déclaré le plus sage des hommes. On déchaîna contre lui un prêtre et un conseiller des cinq-cents, qui l’accusèrent ; j’avoue que je ne sais pas précisément de quoi, je ne vois que du vague dans son Apologie ; on lui fait dire en général qu’on lui imputait d’inspirer aux jeunes gens des maximes contre la religion et le gouvernement. C’est ainsi