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JUSTIFIÉ.


borgne et boiteux, et que Henri IV conserva heureusement ses yeux et ses jambes ;

Que Démosthène excita les Athéniens contre le roi de Macédoine, et que des curés prêchèrent dans Paris contre le roi de France.

Il est vrai que ce parallèle est relevé par les louanges de Salomon, du roi d’Angleterre d’aujourd’hui, du roi de Danemark, et de l’impératrice-reine de Hongrie : ce qui fera sans doute débiter son livre dans toute l’Europe. Une telle sagesse manqua au président de Thou.

Finissons par les prétendus bons mots dont la tradition populaire défigure le caractère de Henri IV.

Qu’un paysan qui avait les cheveux blancs et la barbe noire ait répondu au roi[1] que ses cheveux étaient de vingt ans plus vieux que sa barbe, c’est un bon mot de paysan, et non pas du roi. Ce conte est imprimé dans des facéties italiennes plus de dix ans avant la naissance de Henri IV, et la plupart de ces facéties ont fait le tour de l’Europe.

Qu’un autre paysan[2] ait apporté au roi du fromage de lait de bœuf, c’est une insipidité bien indigne de l’histoire ; et ce n’est pas Henri IV qui l’a dite.

Mais qu’il eût fait battre de verges[3] sept ou huit praticiens assemblés dans un cabaret pour leurs affaires, et que Henri ait exercé sur eux cette indigne vengeance parce que ces bourgeois n’avaient pas voulu partager leur dîner avec un homme qu’ils ne connaissaient pas, c’eût été une action tyrannique, infâme, non-seulement indigne d’un grand roi, mais d’un homme bien élevé. C’est L’Estoile qui rapporte cette sottise sur un ouï-dire. L’Estoile ramassait mille contes frivoles débités par la populace de Paris. Mais, si une pareille action avait la moindre lueur de vraisemblance, elle déshonorerait la mémoire de Henri IV à jamais, et cette mémoire si chère deviendrait odieuse. Le bon sens et le bon goût consistent à choisir, dans les anecdotes de la vie des grands hommes, ce qui est vraisemblable et ce qui est digne de la postérité.

Le grave et judicieux de Thou ne s’est jamais écarté de ce devoir d’un historien.

Si M. de Bury a cru rendre son ouvrage recommandable en

  1. Histoire de Henri IV, tome IV, page 248.
  2. Page 237.
  3. Page 249.