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LE PRÉSIDENT DE THOU


Henri IV de partager l’Europe en quinze dominations, et d’établir un tribunal perpétuel, on en trouverait quelques traces dans les Mémoires de Villeroi, dans ceux de tant d’autres hommes d’État, dans les archives d’Angleterre, de Venise, dans celles des princes protestants si attachés à Henri IV, et si intéressés à cette balance générale. Il ne se trouve aucun monument de ce dessein. Ce silence universel doit produire un doute raisonnable.

Il n’est pas naturel que M. de Villeroi, qui eut la confiance de Henri IV, ignorât un projet si extraordinaire, qui regardait uniquement son département. Les secrétaires qui compilèrent les Économies politiques attribuées au duc de Sully, lorsqu’il était âgé de quatre-vingts ans, sont les seuls qui parlent de cette étrange idée.

Je vais examiner une chose non moins étrange : c’est la comparaison de Henri IV avec Philippe[1], roi de Macédoine.

Si le judicieux de Thou avait voulu comparer Henri avec quelque autre monarque, il aurait choisi un roi de France. On aurait pu trouver un peu de ressemblance entre lui et Charles VII. Tous deux eurent une guerre civile à soutenir. Tous deux virent l’étranger dans la capitale. Les Anglais y bravèrent quelque temps Charles VII, et les Espagnols Henri IV ; ils regagnèrent l’un et l’autre leur royaume pied à pied, par les armes et par les négociations. Tous deux au milieu de la guerre eurent des maîtresses.

Le parallèle est assez frappant, et il est tout à l’honneur de Henri IV, qui, par son courage, son application et sa sagesse dans le gouvernement, l’emporte sur Charles au jugement de tout le monde.

Pourquoi donc choisir le père d’Alexandre pour le comparer au père de Louis XIII ? Ce qui fonde cette comparaison chez M. de Bury, c’est que Philippe s’empara de la couronne de Macédoine au préjudice d’Amyntas son neveu, dont il était tuteur, et que Henri était héritier légitime ;

Qu’Épaminondas présida à l’éducation de Philippe, et que Florent Chrétien fut précepteur de Henri IV ;

Que Philippe construisit des flottes, et que Henri n’en eut jamais ;

Que Philippe trouva des mines d’or dans la Thrace, et que Henri IV n’en trouva pas chez lui ;

Que Philippe fut tellement couvert de blessures qu’il en devint

  1. Histoire de Henri IV, tome IV, page 253.