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SOPHRONIME ET ADÉLOS.

fait son devoir, par la paix du cœur, par l’applaudissement des peuples, l’amitié des gens de bien. C’est l’opinion de Cicéron, c’est celle de Caton, de Marc-Aurèle, d’Épictète ; c’est la mienne. Ce n’est pas que ces hommes prétendent que la vertu rende parfaitement heureux. Cicéron avoue qu’un tel bonheur ne saurait être toujours pur, parce que rien ne peut l’être sur la terre. Mais remercions le Maître de la nature humaine d’avoir mis à côté de la vertu la mesure de félicité dont cette nature est susceptible.

Quant à la liberté de l’homme que la toute-puissante et toute agissante nature de l’Être universel semblerait détruire, je m’en tiens à une seule assertion. La liberté n’est autre chose que le pouvoir de faire ce qu’on veut : or ce pouvoir ne peut jamais être celui de contredire les lois éternelles, établies par le grand Être. Il ne peut être que celui de les exercer, de les accomplir. Celui qui tend un arc, qui tire à lui la corde, et qui pousse la flèche, ne fait qu’exécuter les lois immuables du mouvement. Dieu soutient et dirige également la main de César qui tue ses compatriotes à Pharsale, et la main de César qui signe le pardon des vaincus. Celui qui se jette au fond d’une rivière pour sauver un homme noyé, et pour le rendre à la vie, obéit aux décrets et aux règles irrésistibles. Celui qui égorge et qui dépouille un voyageur leur obéit malheureusement de même. Dieu n’arrête pas le mouvement du monde entier pour prévenir la mort d’un homme sujet à la mort. Dieu même, Dieu ne peut être libre d’une autre façon ; sa liberté ne peut être que le pouvoir d’exécuter éternellement son éternelle volonté. Sa volonté ne peut avoir à choisir avec indifférence entre le bien et le mal, puisqu’il n’y a point de bien ni de mal pour lui. S’il ne faisait pas le bien nécessairement par une volonté nécessairement déterminée à ce bien, il le ferait sans raison, sans cause : ce qui serait absurde.

J’ai l’audace de croire qu’il en est ainsi des vérités éternelles de mathématique par rapport à l’homme. Nous ne pouvons les nier dès que nous les apercevons dans toute leur clarté, et c’est en cela que Dieu nous fit à son image ; ce n’est pas en nous pétrissant de fange délayée, comme on dit que fit Prométhée.

. . . . . . . . . . . . . Mixtam fluvialibus undis
Finxit in effigiem moderantum cuncta deorum.

(Ovid., Met., I, 82-83.)

Certes ce n’est pas par le visage que nous ressemblons à Dieu, représenté si ridiculement par la fabuleuse antiquité avec tous nos membres et toutes nos passions ; c’est par l’amour et la con-