Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/463

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
453
ET LES MODERNES.

madame de pompadour

Ce n’est point un tableau, c’est une estampe : cela n’est lait qu’avec du noir de fumée ; on en tire cent copies en un jour, et ce secret éternise les tableaux que le temps consume.

tullia.

Ce secret est admirable : nos Romains n’ont jamais eu rien de pareil.

UN SAVANT, qui assistait à la toilette, prit alors la parole,
et dit à Tullia en tirant un livre de sa poche :

Vous serez bien plus étonnée, madame, quand vous saurez que ce livre n’est point écrit à la main, qu’il est imprimé à peu près comme ces estampes, et que cette invention éternise aussi les ouvrages de l’esprit.

Le savant présenta son livre à Tullia ; c’était un recueil de vers pour madame la marquise : Tullia en lut une page, admira les caractères, et dit à l’auteur :
tullia.

Monsieur, l’impression est une belle chose ; et si elle peut immortaliser de pareils vers, cela me paraît le plus grand effort de l’art. Mais n’auriez-vous pas du moins employé cette invention à imprimer les ouvrages de mon père ?

le savant.

Oui, madame ; mais on ne les lit plus. J’en suis fâché pour monsieur votre père ; mais aujourd’hui nous ne connaissons guère que son nom.


Alors on apporta du chocolat, du thé, du café, des glaces. Tullia fut étonnée de voir en été de la crème et des groseilles gelées. On lui dit que ces boissons figées avaient été composées en six minutes par le moyen du salpêtre dont on les avait entourées, et que c’était avec du mouvement qu’on avait produit cette fixation et ce froid glaçant. Elle demeura interdite d’admiration. La noirceur du chocolat et du café lui inspira quelque dégoût ; elle demanda comment ces liqueurs étaient extraites des plantes du pays. Un duc et pair qui se trouva là lui répondit :

Les fruits dont ces boissons sont composées viennent d’un autre monde, et du fond de l’Arabie.

tullia.

Pour l’Arabie, je la connais ; mais je n’avais jamais entendu parler de ce que vous appelez café ; et pour l’autre monde, je ne connais que celui d’où je viens : je vous assure qu’il n’y a point de chocolat dans ce monde-là.

m. le duc.

Le monde dont on vous parle, madame, est un continent nommé l’Amérique, presque aussi grand que l’Asie, l’Europe, et