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Car, monsieur, si Dina n’avait que six ans quand elle fut violée, Ruben n’en pouvait avoir que treize, et Siméon douze, quand ils passèrent tous les Sichemites au fil de l’épée après les avoir circoncis. Croyez-vous vous tirer d’affaire en disant que, dans la race de Jacob, la valeur des filles et des garçons n’attend pas le nombre des années[1] ?

M. le proposant Théro, qui au fond est un bon chrétien, quoiqu’il n’aime pas Athanase, trouve fort mauvais que vous disiez que toute cette ancienne chronologie est erronée, ainsi que les autres calculs. Seriez-vous un malin, monsieur Needham ? Saint Luc[2] dit qu’Auguste fit un dénombrement de toute la terre, et que Cyrénius était gouverneur de la Syrie quand Jésus vint au monde ; et là-dessus vous vous écriez qu’il y a un vice de clerc dans ce passage, que jamais Auguste ne fit un dénombrement de l’empire, qu’aucun auteur n’en parle, qu’aucune médaille ne l’atteste, que Cyrénius ne fut gouverneur que dix ans après la naissance de Jésus. Oui, monsieur, cela est vrai ; mais ce n’est pas à vous à le dire.

Laissez là votre chronologie et vos calculs ; ne supputez plus si David amassa, dans le petit pays de la Judée, un milliard ou onze cents millions de livres sterling en argent comptant ; et si Saül avait trois cent soixante mille hommes de troupes en campagne, et Salomon quatre cent quarante mille chevaux : cela est absolument étranger à la morale, à la vertu, à l’amour de la patrie, qui sont notre unique affaire.

Vous prétendez qu’il y a erreur dans les copies des Évangiles, parce que Matthieu fait enfuir la sainte famille en Égypte, et que Luc la fait rester à Bethléem ; parce que Jean fait prêcher Jésus trois ans, et les autres seulement trois mois ; parce que Matthieu et les autres ne s’accordent ni sur le jour de la mort, ni sur les apparitions, ni sur un grand nombre d’autres faits. Ah ! monsieur Needham, ne cesserez-vous point d’éplucher ce qu’il faut respecter ? Ne voyez-vous pas que ces livres furent écrits en différents temps et en différents pays, qu’ils ne commencèrent à être connus que Sous Trajan, et que s’il y a des fautes dans le détail, il faut les excuser charitablement, et ne les pas étaler aux yeux des fidèles comme vous faites ?

Cessez, je vous en prie, de calomnier mes chers Savanois ; ne dites plus que de si honnêtes gens sont des anthropophages. Ne con-

  1. Vers du Cid, acte II, scène II.
  2. Chapitre II, verset 1.