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les plus excessivement pluvieuses, vous paraissez en conclure que le globe n’a pu être couvert tout entier de vingt mille pieds d’eau en hauteur.

Eh ! monsieur, oubliez-vous les cataractes ? oubliez-vous que les eaux supérieures avaient été séparées des eaux inférieures ? et devez-vous nier le déluge parce qu’étant qualifié, comme vous le dites, pour concilier le texte hébreu, le texte des Septante, et le samaritain, vous n’avez pu en venir à bout, ce qui est pourtant la chose du monde la plus aisée ?

Vous doutez, dites-vous[1], que le déluge ait été universel, et que tous les animaux de l’Amérique aient pu venir dans l’arche. Vous ne pouvez comprendre que huit personnes aient pu donner, pendant une année entière, à la prodigieuse quantité d’animaux renfermés dans cette arche, les différentes nourritures qui leur sont propres. N’êtes-vous pas honteux de jeter de pareils scrupules dans les âmes faibles ? Et ne savez-vous pas de quoi huit personnes entendues sont capables dans un ménage[2] ?

Vous voilà encore bien embarrassé à compter les années depuis que Moïse parla à Pharaon jusqu’aux fondements du temple jetés par Salomon. Vous trouvez, en supputant juste, entre ces deux événements, cinq cent trente-cinq années ; et vous êtes tout effarouché que le texte dise qu’il n’y eut que quatre cent quatre-vingts ans depuis l’ambassade de Moïse vers Pharaon jusqu’à l’année où Salomon jeta les fondements du temple.

Vous remarquez qu’Esdras compte quarante-deux mille trois cent quarante et un Israélites revenus de la captivité, et que par son propre compte il ne s’en trouve que vingt-neuf mille huit cent dix-neuf.

Vous souvenez-vous, monsieur, que Mlle Ferbot vous demanda, en soupant, quel âge avait Dina, fille de Jacob, lorsqu’elle fut violée par l’aimable prince des Sichemites ? « Seize ans, répondîtes-vous, d’après le calcul du judicieux dom Calmet. » Mlle Ferbot, qui calcule à merveille[3] se leva de table, prit une plume et de l’encre, fit le compte en deux minutes, et vous prouva que Dina n’avait pas six ans. Vous répondîtes qu’elle était fort avancée pour son âge ; mais, monsieur, il fallait démontrer qu’elle avait seize ans, sans quoi vous ruinez toute l’histoire des patriarches.

  1. Voyez page 433.
  2. Voyez l’article Déluge universel, tome XVIII, page 327.
  3. Catherine Ferbot était connue aussi dans l’univers par son amour pour l’argent. Voyez, à la fin du iiie chant de la Guerre civile de Genève (tome IX), comment elle fut miraculeusement ressuscitée par un Anglais hérétique. (Cl.)