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de notre temps crient comme s’ils étaient sur le gril de saint Laurent ou sur la croix de saint André. Les mœurs dégénèrent, la mollesse s’insinue, on s’en aperçoit tous les jours. Je ne vois plus de ces persécutions vigoureuses, si agréables au Seigneur ; il n’y a plus de religion !

« Des coquins se bornent insolemment à l’adoration d’un Dieu auteur de tous les êtres. Dieu unique. Dieu incommunicable, Dieu juste, Dieu rémunérateur et vengeur. Dieu qui a imprimé dans nos cœurs sa loi naturelle et sainte ; Dieu de Platon et de Newton, Dieu d’Épictète, et de ceux qui ont protégé la famille de Calas contre huit juges[1] bons catholiques. Ils adorent ce Dieu avec amour, ils chérissent les hommes, ils sont bienfaisants : quelle absurdité et quelle horreur !

— Ah ! cela fait bondir le cœur, interrompit madame la comtesse. » L’anguillard, applaudi, continua ainsi :

« J’eus une violente dispute ces jours passés avec un scélérat[2] qui, au lieu d’assister à ma messe, s’était amusé à secourir une pauvre famille affligée et l’avait tirée de l’état le plus déplorable. Je voulus le faire rentrer en lui-même ; je lui parlai de la Genèse et de Moïse. Ne voilà-t-il pas cet abominable homme qui me cite Newton, et qui me demande si la Genèse n’a pas été écrite du temps des rois juifs ? Le beau sujet de son doute était que dans le xxxvie chapitre, verset 31, ceux qui lisent la Genèse attentivement (desquels le nombre est très-petit) trouvent ces paroles :

« Voici les rois qui ont régné en la terre d’Édom avant que les enfants d’Israël eussent des rois. »

« Cet impudent osa me dire : « Est-il probable que Moïse eût ainsi supposé qu’il y avait des rois Israélites de son temps ? Il n’y en eut, à compter juste, que sept cents ans après lui. N’est-ce pas comme si on faisait dire à Polybe : Voici les consuls qui furent à la tête du sénat avant qu’il y eut des empereurs romains ? N’est-ce pas comme si on faisait dire à Grégoire de Tours : Voici quels furent les rois des Gaules avant que la maison d’Autriche fut sur le trône ? — Eh ! bête brute, lui répondis-je, ne voyez-vous pas que c’est une prophétie, que c’est là le miracle, et que Moïse a parlé des rois d’Israël comme perçant dans l’avenir : car enfin le nom d’Israël est chaldéen, il ne fut adopté des Juifs que bien des siècles après Moïse : donc Moïse écrivit le Penta-

  1. Voyez page 114.
  2. Épithète théologique à l’aide de laquelle se désigne le protecteur des Calas. (Cl.)