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ment pourraient-ils avoir de la vertu, puisqu’ils ne sont pas de ma religion ? »

Madame la comtesse sentit bien à quel homme on avait à faire ; elle mordit ses belles lèvres pour étouffer un éclat de rire, et, regardant M. Needham avec bonté, elle lui demanda des éclaircissements. « Ne plaignez-vous pas, dit-elle, toute cette Amérique, qui a été si longtemps damnée, ainsi que la Chine, la Perse, les Indes, la Grande-Tartarie, l’Afrique, l’Arabie, et tant d’autres pays ?

— Hélas ! oui, madame ; mais remarquez que tous ces peuples n’ont été livrés au diable de père en fils que jusqu’au temps où il est venu chez eux de nos missionnaires. Les Espagnols, par exemple, n’exterminèrent la moitié des Américains que pour nous donner le moyen de sauver l’autre par nos miracles ; encore n’avons-nous pu parvenir à instruire tout au plus qu’un homme sur mille, mais c’est beaucoup, vu le petit nombre des élus. Les Américains avaient tous péché en Adam, ainsi on ne leur devait rien ; et quand nous en sauvons un, c’est par pure grâce.

— Vraiment, mon cher monsieur Needham, ils vous sont bien obligés ; mais comment les Africains, les Hurons, et les Savanois, étaient-ils damnés en Adam ? Comment des peuples noirs et avec de la laine sur la tête, et des peuples sans barbe, peuvent-ils avoir un père blanc, barbu et chevelu ? et comment les hommes s’y prirent-ils après le déluge pour aller par mer dans l’Amérique ?

— Eh, madame, n’avaient-ils pas l’arche ? Ne leur était-il pas aussi aisé de s’embarquer dans ce vaisseau qu’il l’avait été à Noé d’y rassembler tous les animaux d’Amérique, et de les nourrir pendant un an, avec tous ceux de l’Asie, de l’Afrique, et de l’Europe ? On nous fait tous les jours de ces petites difficultés-là ; mais nous y répondons d’une manière victorieuse, qui est sentie par tous les gens d’esprit. L’objection que les Américains n’ont point de barbe, et que les Nègres n’ont point de cheveux, tombe en poussière : ne voyez-vous pas, madame, que c’est un miracle perpétuel ? Il en est de ces nations ainsi que des Juifs ; ils puent tous comme des boucs, et cependant Abraham, leur père, ne puait point ; les races peuvent changer en punition de quelque crime. Il est sûr qu’en Afrique les peuples de Congo et de la Guinée n’ont une membrane noire sous la peau, et que leur tête n’est garnie de laine noire, que parce que le patriarche Cham avait vu son père sans culotte en Asie.

— Ce que vous dites est très-judicieux et très-vraisemblable, dit monsieur le comte ; cependant je ne voudrais pas répondre