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QUESTIONS

aisé à un historien habile, ou de passer sous silence le miracle des poux, ou même de le tourner à l’avantage de sa nation. Il pouvait dire que les Juifs, qui ont toujours été fripiers, se connaissaient mieux en poux que les autres peuples. On pouvait ajouter que les Égyptiens, qui étaient des gens fort propres, avaient toujours négligé la théorie des poux dans la multitude de leurs connaissances.

Enfin, il n’était pas possible que Chérémon et Manéthon eussent oublié qu’un ange avait coupé le cou, un matin, à tous les fils aînés des maisons d’Égypte.

De très-illustres savants ont cru, comme vous savez, monsieur, qu’il y avait alors en Égypte douze cent mille familles : cela fait douze cent mille jeunes gens égorgés dans une nuit. Cette aventure valait bien la peine d’être rapportée.

Je suppose, par exemple, qu’un jésuite savoyard, envoyé de Dieu, eût assassiné tous les premiers-nés de Genève dans leur lit ; en bonne foi, y aurait-il un seul de nos annalistes qui oubliât cette boucherie exécrable ? et les écrivains savoyards seraient-ils les seuls qui transmettraient à la postérité un événement si divin ?

La probité, monsieur, ne me permet pas de nier la force de ces arguments. Je suis persuadé qu’il est d’un malhonnête homme de traiter avec un mépris apparent les raisons de ses adversaires, quand on en sent toute la puissance dans le fond de son cœur : c’est mentir aux autres et à soi-même. Ainsi, quand nous avons examiné ensemble les miracles de l’antiquité, nous n’avons ni déguisé ni méprisé les raisons de ceux qui les nient, et nous n’avons opposé, en bons chrétiens, que la foi aux arguments. La foi consiste à croire ce que l’entendement ne saurait croire ; et c’est en cela qu’est le mérite.

Mais, monsieur, en étant persuadés, par la foi, des choses qui paraissaient absurdes à notre intelligence, c’est-à-dire en croyant ce que nous ne croyons pas, gardons-nous de faire ce sacrifice de notre raison dans la conduite de la vie.

Il y a eu des gens qui ont dit autrefois : Vous croyez des choses incompréhensibles, contradictoires, impossibles, parce que nous vous l’avons ordonné ; faites donc des choses injustes parce que nous vous l’ordonnons. Ces gens-là raisonnaient à merveille. Certainement qui est en droit de vous rendre absurde est en droit de vous rendre injuste. Si vous n’opposez point aux ordres de croire l’impossible l’intelligence que Dieu a mise dans votre esprit, vous ne devez point opposer aux ordres de malfaire la justice que Dieu a mise dans votre cœur. Une faculté de votre