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caprices ; élevez vos enfants dans l’amour du juste et de l’honnête ; aimez votre patrie ; adorez un Dieu éternel et juste ; sachez que, puisqu’il est juste, il récompensera la vertu et punira le crime. » Voilà, continua-t-il, le symbole de la raison et de la justice. En instruisant la jeunesse de ces devoirs, vous ne serez pas, à la vérité, décorés de titres et d’ornements fastueux ; vous n’aurez pas un luxe méprisable et un pouvoir abhorré ; mais vous aurez la considération convenable à votre état, et vous serez regardés comme de bons citoyens, ce qui est le plus grand des avantages. »

Je ne vous répète, monsieur, qu’une très-faible partie de tout ce que me dit ce bon seigneur. Je vous conjure de l’éclairer ; il mérite de l’être. Il est vertueux ; il adore sincèrement dans Dieu le père commun de tous les hommes, un père infiniment sage et infiniment tendre qui ne préfère point le cadet à l’aîné, qui ne prive point de son soleil le plus grand nombre de ses enfants pour aveugler le plus petit à force de lumière ; un père infiniment juste qui ne châtie que pour corriger, et qui récompense au delà de notre espoir et de notre mérite. Ce bon seigneur met dans le gouvernement de sa maison toutes ces maximes en pratique. Il semble qu’il imite le Dieu qu’il adore ; vous lui donnerez tout ce qui lui manque[1].

J’ai fait tout ce que j’ai pu, et je n’ai point réussi. Je lui ai demandé ce qu’il risquait en soumettant sa raison. « Je risque, m’a-t-il répondu, de mentir à Dieu et à moi-même, de dire : Je vous crois, quand je ne vous crois point, et d’offenser l’Être des êtres, qui m’a donné cette raison. Je ne suis pas dans le cas d’une ignorance invincible, mais dans celui d’une opinion invincible. Pensez-vous, a-t-il ajouté, que Dieu me punira pour n’avoir pas été de votre avis ? Et qui vous a dit qu’il ne vous punira pas d’avoir résisté au mien ? Je vous ai parlé suivant ma conscience ; oseriez-vous jurer entre Dieu et moi que vous avez toujours parlé selon la vôtre ? Vous m’avez dit que vous croyez que Jonas a été trois jours et trois nuits dans le ventre d’un poisson, et moi je vous dis que je n’en crois rien.

« Qui de nous deux est plus près du doute ? Qui de nous deux, dans le secret de son cœur, a parlé avec plus de sincérité ? Quand je paraîtrai devant Dieu à ma mort, j’y paraîtrai avec confiance ;

  1. Dans l’édition originale ne se trouvent pas les trois alinéas suivants, qui furent ajoutés dans la réimpression de 1765, et qui manquent cependant dans l’édition de 1775, tome XIX des Nouveaux Mélanges. (B.)