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vous un sûr appui : que n’exercez-vous le bien que vous faites, au nom de Jésus qui l’a ordonné ? » Voici, monsieur, ce qu’il me répondit : « Je m’unis à Jésus s’il me dit : « Aimez votre prochain[1] ; » car alors il a dit ce que j’ai dans mon cœur : je l’ai prévenu ; mais je ne saurais souffrir qu’un auteur attribue à Jésus seul un précepte qui se trouve dans Moïse[2] comme dans Confucius, et dans tous les moralistes de l’antiquité. Je m’indigne de voir qu’on fasse dire à Jésus : Je vous apporte un précepte nouveau ; je vous fais un commandement nouveau[3] ; « c’est que vous vous aimiez mutuellement ». Le Lévitique avait promulgué ce précepte deux mille ans auparavant, d’une manière bien plus énergique, quoique moins naturelle[4] : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ; » et c’était un des préceptes des Chaldéens. Cette faute grossière, et impardonnable dans un auteur juif, fait soupçonner à beaucoup de savants que l’Évangile attribué à Jean est d’un chrétien platonicien, qui écrivit dans le commencement du second siècle de notre ère, et qui connaissait moins l’Ancien Testament que Platon, dans lequel il a pris presque tout le premier chapitre.

« Quoi qu’il en soit de cette fraude, et de tant d’autres fraudes, j’adopte la saine morale partout où je la trouve : elle porte l’empreinte de Dieu même, car elle est uniforme dans tous les temps et dans tous les lieux. Qu’a-t-elle besoin d’être soutenue par des prestiges, et par une métaphysique incompréhensible ? En serai-je plus vertueux quand je croirai que le Fils a la puissance d’engendrer, et que l’Esprit procède sans avoir cette puissance ? Ce galimatias théologique est-il bien utile aux hommes ? y a-t-il aujourd’hui un esprit sensé qui pense que le Dieu de l’univers nous demandera un jour si le Fils est de même nature que le Père, ou s’il est de semblable nature ? Qu’ont de commun ces vaines subtilités avec nos devoirs ?

« N’est-il pas évident que la vertu vient de Dieu, et que les dogmes viennent des hommes qui ont voulu dominer ? Vous voulez être prédicant, prêchez la justice, et rien de plus. Il nous faut des gens de bien, et non des sophistes. On vous paye pour dire aux enfants : « Respectez, aimez vos pères et mères ; soyez soumis aux lois : ne faites jamais rien contre votre conscience ; rendez votre femme heureuse ; ne vous privez pas d’elle sur de vains

  1. Matth., v, 43 ; xxii, 39 ; Marc, xii, 31.
  2. Lévitiq., xix, 18.
  3. Jean, chap. xiii, v. 34. (Note de Voltaire.)
  4. Lèvitique, chap. xix, v. 18 et 34. (Id.)