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les Pères de l’Église ont annoncé ce que les apôtres avaient préparé ; enfin les conciles nous ont appris ce que les apôtres et les Pères avaient cru ne devoir pas dire. Ce sont les conciles, par exemple, qui nous ont enseigné la consubstantialité, les deux natures dans une seule personne, et une seule personne avec deux volontés. Ils nous ont appris que la paternité n’appartient pas au Fils, mais qu’il a la vertu productive, et que l’Esprit ne l’a pas, parce que le Saint-Esprit procède, et n’est pas engendré ; et bien d’autres mystères encore, sur lesquels Jésus, les apôtres, les Pères, avaient gardé le silence ; il faut que le jour vienne après l’aurore.


— Laissez là votre aurore, me répondit-il ; une comparaison n’est pas une raison. Je suis trop entouré de ténèbres. Je conviens que les objets principaux de votre foi ont été déterminés dans des conciles ; mais aussi d’autres conciles, non moins nombreux, ont admis une doctrine toute contraire. Il y a eu autant de conciles en faveur d’Arius et d’Eusèbe qu’en faveur d’Athanase.

« Comment Dieu serait-il venu mourir sur la terre par le plus grand et le plus infâme des supplices, pour ne pas annoncer lui-même sa volonté, pour laisser ce soin à des conciles qui ne s’assembleraient qu’après plusieurs siècles, qui se contrediraient, qui s’anathématiseraient les uns les autres, et qui feraient verser le sang par des soldats et par des bourreaux ?

« Quoi ! Dieu vient sur la terre, il y naît d’une vierge, il y habite trente-trois ans, il y périt du supplice des esclaves pour nous enseigner une nouvelle religion ; et il ne nous l’enseigne pas ! il ne nous apprend aucun de ses dogmes ! il ne nous commande aucun rite ! tout se fait, tout s’établit, se détruit, se renouvelle avec le temps à Nicée, à Chalcédoine, à Éphèse, à Antioche, à Constantinople, au milieu des intrigues les plus tumultueuses et des haines les plus implacables ! Ce n’est enfin que les armes à la main qu’on soutient le pour et le contre de tous ces dogmes nouveaux !

« Dieu, quand il était sur la terre, a fait la pâque en mangeant un agneau cuit dans des laitues ; et la moitié de l’Europe, depuis plus de huit siècles, croit faire la pâque en mangeant Jésus-Christ lui-même en chair et en os. Et la dispute sur cette façon de faire la pâque a fait couler plus de sang que les querelles des maisons d’Autriche et de France, des Guelfes et des Gibelins[1], de la Rose blanche et la Rose rouge[2], n’en ont jamais répandu. Si les cam-

  1. Voyez tome XI, page 428 ; XIII, 302.
  2. Voyez tome XII, page 205 et suiv.