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IDÉE DE LA RÉFORME DU XVIe SIÈCLE.

douter, et qui d’ailleurs rapportait beaucoup aux moines ; comme ils ne révéraient pas des reliques qu’on doit révérer, mais qui rapportaient encore davantage ; enfin comme ils attaquaient des dogmes très-respectés[1], on ne leur répondit d’abord qu’en les faisant brûler. Le roi, qui les protégeait et les soudoyait en Allemagne, marcha dans Paris à la tête d’une procession après laquelle on exécuta plusieurs de ces malheureux ; et voici quelle fut cette exécution. On les suspendait au bout d’une longue poutre qui jouait en bascule sur un arbre debout ; un grand feu était allumé sous eux, on les y plongeait, et on les relevait alternativement : ils éprouvaient les tourments et la mort par degrés, jusqu’à ce qu’ils expirassent par le plus long et le plus affreux supplice que jamais ait inventé la barbarie.

Peu de temps avant la mort de François Ier, quelques membres du parlement de Provence, animés par des ecclésiastiques contre les habitants de Mérindol et de Cabrières, demandèrent au roi des troupes pour appuyer l’exécution de dix-neuf personnes de ce pays condamnées par eux ; ils en firent égorger six mille, sans pardonner ni au sexe, ni à la vieillesse, ni à l’enfance ; ils réduisirent trente bourgs en cendres. Ces peuples, jusqu’alors inconnus, avaient tort, sans doute, d’être nés Vaudois[2]; c’était

  1. Ils renouvelaient le sentiment de Bérenger sur l’Eucharistie ; ils niaient qu’un corps put être en cent mille endroits différents, même par la toute-puissance divine ; ils niaient que les attributs pussent subsister sans sujet ; ils croyaient qu’il était absolument impossible que ce qui est pain et vin aux yeux, au goût, à l’estomac, fût anéanti dans le moment même qu’il existe ; ils soutenaient toutes ces erreurs, condamnées autrefois dans Bérenger. Ils se fondaient sur plusieurs passages des premiers Pères de l’Église, et surtout de saint Justin, qui dit expressément dans son dialogue contre Tryphon : « L’oblation de la fine farine… est la figure de l’eucharistie que Jésus-Christ nous ordonne de faire en mémoire de sa passion. » ϰαὶ ἡ τῆς σεμιδάλεως… τύπος ἦν τοῦ ἄρτου τῆς εὐχαριστίας, ὃν εἰς ἀνάμνησιν τοῦ πάθους… Ἱησοῦς Χριστὸς ὁ ϰύριος ἡμῶν παρέδωϰε ποιεῖν. (Page 119, Edit. Londinensis, 1719, in-8o.)

    Ils rappelaient tout ce qu’on avait dit dans les premiers siècles contre le culte des reliques ; ils citaient ces paroles de Vigilantius : « Est-il nécessaire que vous respectiez ou même que vous adoriez une vile poussière ? Les âmes des martyrs animent-elles encore leurs cendres ? Les coutumes des idolâtres se sont introduites dans l’Église : on commence à allumer des flambeaux en plein midi. Nous pouvons pendant notre vie prier les uns pour les autres ; mais après la mort, à quoi servent ces prières ? »

    Mais ils ne disaient pas combien saint Jérôme s’était élevé contre ces paroles de Vigilantius. Enfin ils voulaient tout rappeler aux temps apostoliques, et ne voulaient pas convenir que, l’Église s’étant étendue et fortifiée, il avait fallu nécessairement étendre et fortifier sa discipline : ils condamnaient les richesses, qui semblaient pourtant nécessaires pour soutenir la majesté du culte. (Note de Voltaire.)

  2. Voyez tome XI, page 495 ; et XII, 283, 330.