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CHAPITRE I.

Lavaisse, et la servante ; mais un des conseillers leur ayant fait sentir que cet arrêt démentait l’autre, qu’ils se condamnaient eux-mêmes, que tous les accusés ayant toujours été ensemble dans le temps qu’on supposait le parricide, l’élargissement de tous les survivants prouvait invinciblement l’innocence du père de famille exécuté, ils prirent alors le parti de bannir Pierre Calas son fils. Ce bannissement semblait aussi inconséquent, aussi absurde que tout le reste : car Pierre Calas était coupable ou innocent du parricide ; s’il était coupable, il fallait le rouer comme son père ; s’il était innocent, il ne fallait pas le bannir. Mais les juges, effrayés du supplice du père et de la piété attendrissante avec laquelle il était mort, imaginèrent de sauver leur honneur en laissant croire qu’ils faisaient grâce au fils, comme si ce n’eût pas été une prévarication nouvelle de faire grâce ; et ils crurent que le bannissement de ce jeune homme pauvre et sans appui, étant sans conséquence, n’était pas une grande injustice, après celle qu’ils avaient eu le malheur de commettre.

On commença par menacer Pierre Calas, dans son cachot, de le traiter comme son père s’il n’abjurait pas sa religion. C’est ce que ce jeune homme[1] atteste par serment.

Pierre Calas, en sortant de la ville, rencontra un abbé convertisseur qui le fit rentrer dans Toulouse ; on l’enferma dans un couvent de dominicains, et là on le contraignit à remplir toutes les fonctions de la catholicité : c’était en partie ce qu’on voulait, c’était le prix du sang de son père ; et la religion, qu’on avait cru venger, semblait satisfaite.

On enleva les filles à la mère ; elles furent enfermées dans un couvent. Cette femme, presque arrosée du sang de son mari, ayant tenu son fils aîné mort entre ses bras, voyant l’autre banni, privée de ses filles, dépouillée de tout son bien, était seule dans le monde, sans pain, sans espérance, et mourante de l’excès de son malheur. Quelques personnes, ayant examiné mûrement toutes les circonstances de cette aventure horrible, en furent si frappées qu’elles firent presser la dame Calas, retirée dans une solitude, d’oser venir demander justice au pied du trône. Elle ne pouvait pas alors se soutenir, elle s’éteignait ; et d’ailleurs, étant née Anglaise, transplantée dans une province de France dès son jeune âge, le nom seul de la ville de Paris l’effrayait. Elle s’imaginait que

  1. Un jacobin vint dans mon cachot, et me menaça du même genre de mort si je n’abjurais pas : c’est ce que j’atteste devant Dieu. 23 juillet 1762. Pierre Calas. (Note de Voltaire.)