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Rousseau fit supprimer son édition, et elle est assez rare aujourd’hui. Il l’avait intitulée Réponse aux lettres écrites de la montagne, publiée à Genève sous ce titre : Sentiment des citoyens.

M. A.-A. Renouard est le premier qui ait admis cet opuscule dans les Œuvres de Voltaire (tome XLIII de son édition, publié en 1821). Il y conserva les six notes de Rousseau ; elles ont ici ses initiales pour signatures.


B.



SENTIMENT DES CITOYENS.

Après les Lettres de la campagne sont venues celles de la montagne. Voici les sentiments de la ville :

On a pitié d’un fou ; mais quand la démence devient fureur, on le lie. La tolérance, qui est une vertu, serait alors un vice.

Nous avons plaint Jean-Jacques Rousseau, ci-devant citoyen de notre ville, tant qu’il s’est borné dans Paris au malheureux métier d’un bouffon qui recevait des nasardes à l’Opéra, et qu’on prostituait marchant à quatre pattes sur le théâtre de la Comédie. À la vérité, ces opprobres retombaient en quelque façon sur nous : il était triste pour un Genevois arrivant à Paris de se voir humilié par la honte d’un compatriote. Quelques-uns de nous l’avertirent, et ne le corrigèrent pas. Nous avons pardonné à ses romans, dans lesquels la décence et la pudeur sont aussi peu ménagées que le bon sens ; notre ville n’était connue auparavant que par des mœurs pures et par des ouvrages solides qui attiraient les étrangers à notre Académie : c’est pour la première fois qu’un de nos citoyens l’a fait connaître par des livres qui alarment les mœurs, que les honnêtes gens méprisent, et que la piété condamne.

Lorsqu’il mêla l’irréligion à ses romans, nos magistrats furent indispensablement obligés d’imiter ceux de Paris et de Berne[1], dont les uns le décrétèrent et les autres le chassèrent. Mais le conseil de Genève, écoutant encore sa compassion dans sa justice, laissait une porte ouverte au repentir d’un coupable égaré qui pouvait revenir dans sa patrie et y mériter sa grâce.

Aujourd’hui la patience n’est-elle pas lassée quand il ose publier un nouveau libelle dans lequel il outrage avec fureur la

  1. Je ne fus chassé du canton de Berne qu’un mois après le décret de Genève. (J.-J. R.)