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308 NOUVEAUX DOUTES.

Il y a une foule prodigieuse de gens d'esprit ; mais les per- sonnes d'un goût épuré, qui pensent juste, et qui disent ce qu'elles pensent, sont bien rares.

Que d'erreurs monstrueuses accréditées par la science même qui aurait dû les détruire! On commence par une fausse charte, par un diplôme supposé ; on le montre eu secret à quelques per- sonnes intéressées à le faire valoir : sa réputation s'établit avant même qu'il soit connu. Commence-t-il à percer, les honnêtes gens, les esprits sensés, se récrient contre l'imposture; on les fait taire ; on rectifie une erreur ; on déguise habilement un men- songe; on corrompt le sens du texte par des commentaires. Écoutez Montaigne, il dira bien mieux que moi (livre III, cha- pitre xi) :

(( Les premiers qui sont abreuvés de ce commencement d'étrangeté, venant à semer leur histoire, sentent, par les opposi- tions qu'on leur fait, où loge la difficulté de la persuasion, et vont calfeutrant cet endroit de quelque pièce fausse. Outre ce que, insila hominibiis libidine alendi de industria rumores [Tii. Liv. ^), nous faisons naturellement conscience de rendre ce qu'on nous a prêté sans quelque usure et accession de notre crû. L'erreur particuhère fait premièrement l'erreur publique, et à son tour après l'erreur publique fait Terreur particulière. Ainsi va tout ce bâtiment, s'étoffant et formant de main en main, de manière que le plus éloigné témoin en est mieux instruit que le plus voisin, et le dernier informé mieux persuadé que le premier. C'est un progrès naturel. Car quiconque croit quelque chose estime que c'est ouvrage de charité de la persuader à un autre, et, pour ce faire, ne craint point d'ajouter de son invention, autant qu'il voit être nécessaire en son conte, pour suppléer à la résistance et au défaut qu'il pense être en la conception d'autrui. »

Qui veut apprendre à douter doit lire ce chapitre entier de Montaigne, le moins méthodique des philosophes, mais le plus sage et le plus aimable.

1. XXXVIII, 24.

��FIN DES DOUTES SUR LE TESTAMENT, ETC.

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