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DU CARDINAL DE RICHELIEU. 303

géant; n vous n'avez donc écrit en cfïet que pour confirmer mon opinion, et pour prouver que le testament n'est pas du cardinal.

Je ne peux imaginer, monsieur, que vous souteniez le pour et le contre, et que vous vouliez vous contredire parce que le testament se contredit en cent endroits. Je crois devoir inférer de tout votre ouvrage que , quand vous dites le cardinal de lîiclielieu, vous entendez toujours Dageant et Bourzeis.

Cependant comment se peut-il faire qu'étant vous-même persuadé que le testament prétendu n'est pas du cardinal de Richelieu, et que la moitié de cet ouvrage est un tissu de lieux communs, et l'autre moitié un amas de projets impraticables, vous pensiez m'éblouir en me disant qu'il a été loué par La Bruyère ^ ? N'est-il jamais arrivé qu'un homme de lettres se soit laissé séduire par un grand nom, par l'envie de faire sa cour à des personnes puissantes, enfm par l'erreur populaire, qui do- mine souvent les esprits les mieux faits? Si l'abbé de Bourzeis avait donné ses Idées politiques sous son nom, on en aurait ri comme des projets de M. Ormin et de Caritidès-.

Il sentit combien Sosie a raison de dire^:

Tous ces discours sont des soUises, Partant d'un homme sans éclat; Ce seraient paroles exquises Si c'était un grand qui parlât.

Dès qu'une fois la prévention est établie, vous savez que la raison perd tous ses droits. Les noms, en tout genre, font plus d'impression que les choses.

Vous avez peut-être entendu parler de ce qui se passa dans un souper au Temple, chez M. le prince de Vendôme, au sujet des fables de Lamotte. Elles venaient de paraître, et par consé- quent tout le monde affectait d'en dire du mal. Le célèbre abbé de Chaulieu, l'évêque de Luçon, fils du fameux Bussy-Rabutin, et beaucoup plus aimable que son père, un ancien ami de Cha- pelle, plein d'esprit et de goût, l'abbé Courtin, et d'autres bons

��1. « C'est la peinture de son esprit, dit La Bruyère ; son àme tout entière s'y développe ; l'on y découvre le secret de sa conduite et de ses actions ; l'on y trouve la source et la vraisemblance de tant et de si grands événements qui ont paru sous son administration ; l'on y voit qu'un homme qui pense si virilement et si juste a pu agir sûrement et avec succès, et que celui qui a achevé de si grandes choses, ou n'a jamais écrit, ou a dû écrire comme il a fait. »

2. Ormin et Caritidès sont des personnages des Fâcheux, comédie de Molière.

3. Amphitryon, acte II, scène i.

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