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HISTOIRE DE LA MORT DE JEAN CALAS.
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Étienne, malgré le curé, qui protestait contre cette profanation[1].

Il y a, dans le Languedoc, quatre confréries de pénitents, la blanche, la bleue, la grise, et la noire. Les confrères portent un long capuce, avec un masque de drap percé de deux trous pour laisser la vue libre : ils ont voulu engager M. le duc de Fitz-James, commandant de la province, à entrer dans leur corps, et il les a refusés. Les confrères blancs firent à Marc-Antoine Calas un service solennel, comme à un martyr. Jamais aucune Église ne célébra la fête d’un martyr véritable avec plus de pompe ; mais cette pompe fut terrible. On avait élevé au-dessus d’un magnifique catafalque un squelette qu’on faisait mouvoir, et qui représentait Marc-Antoine Calas, tenant d’une main une palme, et de l’autre la plume dont il devait signer l’abjuration de l’hérésie, et qui écrivait en effet l’arrêt de mort de son père.

Alors il ne manqua plus au malheureux qui avait attenté sur soi-même que la canonisation : tout le peuple le regardait comme un saint ; quelques-uns l’invoquaient, d’autres allaient prier sur sa tombe, d’autres lui demandaient des miracles, d’autres racontaient ceux qu’il avait faits. Un moine lui arracha quelques dents pour avoir des reliques durables. Une dévote, un peu sourde, dit qu’elle avait entendu le son des cloches. Un prêtre apoplectique fut guéri après avoir pris de l’émétique. On dressa des verbaux de ces prodiges. Celui qui écrit cette relation possède une attestation qu’un jeune homme de Toulouse est devenu fou pour avoir prié plusieurs nuits sur le tombeau du nouveau saint, et pour n’avoir pu obtenir un miracle qu’il implorait.

Quelques magistrats étaient de la confrérie des pénitents blancs. Dès ce moment la mort de Jean Calas parut infaillible.

Ce qui surtout prépara son supplice, ce fut l’approche de cette fête singulière que les Toulousains célèbrent tous les ans en mémoire d’un massacre de quatre mille huguenots ; l’année 1762 était l’année séculaire[2]. On dressait dans la ville l’appareil de cette solennité : cela même allumait encore l’imagination échauffée du peuple ; on disait publiquement que l’échafaud sur lequel on rouerait les Calas serait le plus grand ornement de la fête ; on disait que la Providence amenait elle-même ces victimes pour être sacrifiées à notre sainte religion. Vingt personnes ont entendu ces discours, et de plus violents encore. Et c’est de nos jours ! et

  1. Le curé de Saint-Étienne ne protesta nullement, et disputa même le droit d’inhumation au curé de Thaur, sur le territoire duquel se trouvait l’hôtel de ville.
  2. Voyez la note de la page précédente.