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DU DISCOURS AUX WELCHES.

appelle une partie de la Champagne, où vous êtes né, pouilleuse[1]. — Ah ! le mot est ignoble, et odieux, dit Antoine. — Vous avez raison, mon cousin ; mais quel est le pays qui n’ait pas des terrains rebelles et incultivables ? Vous vous plaignez des landes de Bordeaux[2] ; mais sachez qu’on va les défricher, et qu’une compagnie s’y est déjà ruinée. Vous vous affligez que dans certaines provinces vos compatriotes portent des sabots[3] : ils auront des souliers avant qu’il soit peu ; ils ne payeront pas même le trop bu, et ils auront soif impunément ; c’est à quoi l’on travaille dès à présent avec une application merveilleuse. — Est-il possible ? dit Antoine avec transport. — Il n’y a rien de plus vrai, dit Catherine ; prenez donc courage, et que votre esprit ne soit point abattu parce que les Cimbres sont venus autrefois à Dijon, les Visigoths à Toulouse, et les Normands à Rouen, comme les Maures sont venus en Espagne. Tous les peuples ont éprouvé des révolutions ; mais la nation avec laquelle on aime le mieux vivre est celle qui mérite la préférence. »

Je pris la liberté de parler à mon tour dans cette savante assemblée. Je voulus prouver que chaque peuple sur la terre avait été conquérant ou conquis, ou absurde, ou industrieux, ou ignorant, selon qu’il avait suivi plus ou moins certains principes que j’expliquai fort au long ; et je m’aperçus même, en les approfondissant, que j’ennuyais beaucoup la compagnie. Heureusement je fus interrompu par Jérôme Carré : « J’avais, dit-il, il y a quelques années, une cousine fort jolie qui voulait m’épouser ; on me demanda sept mille et deux cents livres que je devais envoyer par delà les monts pour impétrer la liberté d’aimer loyalement ma cousine ; je manquai cette grande affaire faute de cinq cents écus. Mon frère, qui n’avait rien, ayant obtenu un petit bénéfice, s’est ruiné en empruntant d’un juif de quoi payer aussi par delà les monts la première année de son revenu. Ces abus, mon cher, sont insupportables : il ne s’agit point ici de philosophie et de théologie, il est question d’argent comptant, et je n’entends pas raillerie là-dessus. »

M. Laffichard, à ce propos, rêva profondément selon sa coutume, et se laissant aller ensuite à son enthousiasme : « Eh bien ! dit-il, nous cherchons quelle est la première nation de l’univers ; c’est celle-là, sans doute, qui a forcé longtemps toutes les autres à lui apporter leur argent, et qui n’en donne à personne. »

  1. Voyez page 233.
  2. Voyez ibid.
  3. Voyez page 234.