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244 DISCOURS AUX WELCHES,

sur sa soupe parce qu'elle est trop chaude, a très-grande raison : il ne mérite point du tout qu'on dise de lui :

Arrière ceux dont la bouche Souffle le chaud et le froid !

C'est abuser d'un proverbe trivial qui n'est pas ici appliqué avec justesse. Mais ces petites taches n'empêcheront pas que les fables de La Fontaine ne soient un ouvrage immortel.

Ses contes sont sans doute les meilleurs que nous ayons ; ce mérite, si c'en est un, est inconnu à l'antiquité grecque et ro- maine. La Fontaine, en ce genre, a surpassé Rabelais, et souvent éo-alé la naïveté et la précision qui se rencontrent dans trois ou quatre ouvrages de Marot ; vous trouverez dans ses meilleurs contes cette aménité, ce naturel de Passerat, qui vivait sous Henri III, et qui nous a laissé la Métamorphose du coucou, ouvrage trop peu connu, qui ne sent en rien la grossièreté du temps, et qu'on croirait fait par La Fontaine même. Voici comme Passerat finit le conte de ce malheureux jaloux qui, étant changé en cou- cou.

S'envole au bois, au bois se tient caché.

Honteux d'avoir sa femme tant cherché ;

Et néanmoins, quand le printemps renflamme

Nos cœurs d'amour, il cherche encor sa femme;

Parle aux passants, et ne peut dire qu'où;

Rien que ce mot ne retint le coucou

D'humain parler; mais par œuvres il montre

Qu'onc en oubli ne mit sa malencontre,

Se souvenant qu'on vint pondre chez lui,

Venge ce tort, et pond au nid d'autrui.

Voilà comment sa douleur il allège.

Heureux ceux-là qui ont ce privilège!

Voilà le style sur lequel La Fontaine se forma : car tous vos poètes du siècle de Louis XIV ont commencé par imiter leurs prédécesseurs. Corneille imita d'abord le style de Mairet et de Rotrou, Boileau celui de Régnier.

Le grand défaut peut-être des contes de La Fontaine est qu'ils roulent presque tous sur le même sujet : c'est toujours une fille ou une femme dont on vient à bout. Le style n'en est pas toujours correct et élégant ; les négligences, les longueurs, les façons de parler proverbiales et communes, le défigurent. Il parait au- dessous de l'Arioste dans les contes qu'il a empruntés de lui.

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