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PAR ANTOINE VADÉ. 241

qu'est-ce qu'un poëme en prose, sinon un aveu de son impuis- sance? Ignorez-vous qu'il est plus aisé de faire dix tomes de prose passable que dix bons vers dans votre langue, dans cette langue embarrassée d'articles, dépourvue d'inversions, pauvre en termes poétiques, stérile en tours hardis, asservie à l'éternelle mono- tonie de la rime, et manquant pourtant de rimes dans les sujets nobles?

Souvenez-vous enfin que lorsque Louis XIV, qu'on s'obstinait à reconnaître dans Idoménée, ne fut plus au monde, quand on eut oublié Louvois, dont on reconnaissait le caractère dans celui de Protésilas; lorsqu'on n'envia plus la marquise Scarron de Maintenon, qu'on avait comparée i\ la vieille Astarbé, alors le Télèmaque perdit beaucoup de son prix. Mais le Tu Marcellus eris ^ de l'Énèide sera toujours dans la mémoire des hommes ; on citera toujours avec attendrissement ces vers et tous ceux qui les pré- cèdent :

Ter sese attollens cubitoque innixa levavit,

Ter revoluta toro est; oculisciue errantibus, alto

Quœsivit cœlo lucem, ingemuitque reperta^.

On ' a cité dans une traduction en prose de Virgile (car il vous est impossible de le traduire en vers, et vous n'avez pas même encore réussi à rendre en prose le seïis de l'auteur latin), on a cité, dis-jc, une imitation de cet admirable discours de Didon :

Exoriare aliquis nostris ex ossibus ultor, Qui face Dardanios ferroque sequare colonos. Nunc, olim, quocumque dabunt se tempore vires : Littora littoribus contraria, fluctibus undas Iinprecor, arma armis : pugnent ipsique nepotes '*.

Voici la prétendue imitation de Virgile, qu'on donne pour une copie fidèle de ce grand tableau :

Puisse après mon trépas s'élever de ma cendre Un feu qui sur la terre aille au loin se répandre! Excités par mes vœux, puissent mes successeurs Jurer dès le berceau qu'ils seront mes vengeurs,

1. Voyez la note, tome XVIU, page 571.

2. jEn., IV, 090-92.

3. L'abbc Desfontaines, dans sa traduction des OEuvres de Virgile: voyez ses notes à la fin du IV^ livre de VÉnéide.

4. Mn., IV, 025-29.

25. — MÉLANGES. IV. 16

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