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Je veux croire que chez vous l’éloquence du barreau et de la chaire a été portée aussi loin qu’elle peut l’être. Les divisions de vos sermons en trois points, quand il n’y a rien à diviser, un Ave à la vierge Marie^ qui précède ces divisions, un long discours welche sur un texte latin qu’on accommode comme on peut à ce discours, et enfin des lieux communs mille fois répétés, sont des chefs-d’œuvre sans doute ; les plaidoyers de vos avocats sur les coutumes du Hurepoix ou du Gâtinois passeront k la dernière postérité, mais je doute qu’ils fassent oublier l’éloquence grecque et romaine.

Je suis bien loin denier que Pascal, Bossuet, Fénelon, aient été très-éloquents. C’est lorsque ces génies parurent que vous cessâtes d’être Welches, et que vous fûtes Français ; mais ne comparez pas les Lettres provinciales aux Philippiqucs. Considérez d’abord que l’importance du sujet est quelque chose. Les noms de Philippe et de Marc-Antoine sont un peu au-dessus des noms du P. Annat, d’Escobar, et de Tambourini. Les intérêts de la Grèce et les guerres civiles de Rome sont des objets plus considérables que la grâce suffisante qui ne suffit pas, la grâce coopérante qui n’opère point, et la grâce efficace qui est sans efficacité.

Le grand attrait des Lettres provinciales périt avec les jésuites ; mais les Oraisons de Démosthène et de Cicéron instruisent encore l’Europe, quand les objets de ces harangues ne subsistent plus, quand les Grecs ne sont que des esclaves, et que les Romains ne sont plus que tonsurés.

Je sais, encore une fois, que les Oraisons funèbres de Bossuet sont belles, qu’il y a même du sublime. Mais, entre nous, qu’est-ce qu’une oraison funèbre ? un discours d’appareil, une déclamation, un lieu commun, et souvent une atteinte à la vérité. Faudra-t-il mettre ces harangues poétiques à côté des discours solides de Cicéron et de Démosthène?

Votre Fénelon, admirateur des anciens, et nourri de leurs ouvrages, alluma sa bougie à leurs flammes immortelles : vous n’oserez pas prétendre que sa Calypso, abandonnée par Télémaque, approche de la Didon de Virgile ; la froide et inutile passion de ce Télémaque, que Mentor jette d’un coup de poing dans la mer pour le guérir de son amour, ne semble pas une invention des plus sublimes. Et oserez-vous dire que la prose de cet ouvrage soit comparable à la poésie d’Homère et de Virgile ? O mes Welches !

1. C’est ce que l’abbé d’Arty ajouta au Panégyrique de saint Louis, que Voltaire avait composé pour lui ; voyez tome XXIII, page 313.