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PAR ANTOINE VADÉ. 237

les Leclerc, les Basnage, les Bernard, les Rapin-Tlioiras, les Beaiisobre, les Lenfant, et tant d'autres, allèrent illustrer la Hol- lande et l'Allemagne ; le commerce des livres fut alors un des plus grands avantages des Provinces-Unies, et une perte pour vous. Ce sont les malheurs de vos compatriotes qui ont étendu votre langue chez tant de nations : les Racine, les Corneille, les Molière, les Boileau, les Quinault, les La Fontaine, et vos bons écrivains en prose, ont, sans doute, beaucoup contribué à répandre ailleurs votre langue et votre gloire : c'est un grand avantage ; mais il ne aous donne pas le droit de croire l'emporter en tout sur les Grecs et sur les Latins.

Ayez d'abord la bonté de considérer que vous n'avez aucun art, aucune science dont vous ne deviez la connaissance aux Grecs. Les noms mêmes de ces sciences et de ces arts l'attestent assez : la logique, la dialectique, la géométrie, la métaphysique, la poé- sie, la géographie, la théologie même, si c'est une science, tout vous annonce la source où vous avez puisé.

Il n'y a point de femme qui ne parle grec sans s'en douter: car, si elle dit qu'elle a vu une tragédie, une comédie, qu'on lui a récité une ode, qu'un de ses parents est tombé en apoplexie ou en paralysie, qu'il a une esquinancie, un anthrax, qu'un chirur- gien l'a saigné à la veine céphalique, qu'elle a été à l'église, qu'un diacre a chanté les litanies ; si elle parle d'évêques, de prêtres, d'archidiacre, de pape, de liturgie, d'antienne, d'eucharistie, de baptême, de mystères, de décalogue, d'évangile, de hiérarchie, etc., il est bien certain qu'elle n'a pas prononcé un seul mot qui ne soit grec.

Il est vrai qu'on peut tirer presque toutes ses expressions d'une langue étrangère, et en faire un si heureux usage que les disciples surpassent enfin les maîtres ; mais lorsque avec le temps vous avez composé votre langue desdébrisdu grec et du latin, mêlés avec vos anciens mots welches et tudesques, parvîntes-vous alors à faire un langage assez abondant, assez expressif, assez harmonieux? Votre stérilité n'est-elle pas attestée par ces mots secs et barbares que vous employez à tout : Bout du pied, bout du doigt, bout d'oreille, bout du nez, bout du fil, bout du pont, etc. ? tandis que les Grecs expriment toutes ces différentes choses par des termes énergiques et pleins d'harmonie. On vous a déjà ^ reproché de dire im bras de rivière, un bras de mer, un cul d'artichaut, un cul-de-lampe, un cul-de-sac. A peine vous permettez-vous de parler d'un vrai cul

1. Voyez tome XIX, page 568.

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