Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/237

Cette page n’a pas encore été corrigée

A UN ACADÉMICIEN. 227

J'ai toujours souhaité, on voyant la tragédie de Cinna, que, puisque Cinna a des remords, il les eût immédiatement après la scène où Auguste lui dit ^ :

Cinna, par vos conseils je retiendrai l'empire, Mais je le retiendrai pour vous en faire part.

Je n'ai pensé ainsi qu'en interrogeant mon propre cœur; il m'a semblé que si j'avais conspiré contre un prince, et si ce prince m'a- vait accablé de bienfaits dans le temps même delà conspiration, ce serait alors même que j'aurais éprouvé un violent repentir.

Si d'autres lecteurs pensent autrement, je ne puis que les lais- ser dans leur opinion; mais je sens qu'il ne m'est pas possiMe de leur sacrifier la mienne.

J'observerai encore avec vous qu'il y a quelquefois un peu d'arbitraire dans la préférence qu'on donne à certains ouvrages sur d'autres. Tel homme préférera Cinna, tel autre Andromaque: ce choix dépend du caractère du juge. Un politique s'occupera de Cinna plus volontiers, un homme plein de sentiment sera beaucoup plus touché d'inf/j'omfl^we. Il en est de même dans tous les arts : ce qui se rapproche le plus de nos mœurs est toujours ce qui nous plaît davantage.

Ainsi, monsieur, quand je vous dis que les tragédies d'Athalie et dlphigénie me paraissent les plus parfaites, je ne prétends point dire que vous deviez avoir moins de plaisir à celles qui seront plus de votre goût. Je prétends seulement que, dans ces deux pièces, il y a moins de défauts contre l'art que dans aucune autre; que la magnificence de la poésie y répand ses charmes avec moins d'enflure et avec plus d'élégance que dans les pièces d'aucun autre auteur; que jamais plus de difficultés n'ont produit plus de beautés ; mais, comme il y a des beautés de diflerente espèce, celles qui seront le plus conformes à votre manière de penser seront toujours celles qui devront faire le plus d'effet sur vous.

Je m'en suis entièrement rapporté à vous sur tout ce qui regarde la grammaire : c'est un article sur lequel il ne peut guère y avoir deux avis ; mais pour ce qui regarde le goût, je ne peux faire autre chose que de conserver le mien et de respecter celui des autres.

1. Acte II, scène i.

��FIN DE LA REPONSE A UN ACADEMICIEN.

�� �