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220 ARTICLES EXTRAITS

Utiles, de transformer un déshabillé commode en un vêtement malpropre, de saisir jusqu'à des jeux nationaux pour y mettre des grimaces à la place de la gravité, ils pourraient avoir raison; mais si par hasard ces déclamateurs prétendaient nous faire un crime du désir d'étudier, d'observer, de philosopher, comme les Anglais, ils auraient certainement grand tort, car en supposant que ce désir soit déraisonnable ou même dangereux, il faudrait avoir beaucoup d'humeur pour nous l'attribuer, et ne pas con- venir que nous sommes à cet égard à l'abri de tout reproche.

Je fais cette réflexion en lisant votre feuille du 2k octobre dernier, dans laquelle vous annoncez une Histoire d'Angleterre en forme de lettres. Vous dites que ce que les Anglais savent le mieux, c'est VHistoire d'Angleterre; et j'ajoute que ce que les Fran- çais savent le moins, c'est VHistoire de France. Otez à la plupart ce qu'ils ont ramassé dans des anecdotes forgées par la malignité, dans des mémoires platement rédigés, dans des romans sans imagination, et il ne leur restera pas même la notion la plus im- parfaite d'une science très-importante.

L'étude de l'histoire serait pourtant aussi nécessaire à Paris qu'à Londres. Si nous apprenions quelle est l'origine et la bonté de notre gouvernement, le patriotisme nous ranimerait ; les temps de calme et d'obéissance, comparés aux temps de trouble et de vertige, seraient une leçon admirable de douceur et de soumis- sion ; les faits bien vus feraient tomber cette fureur pour la dis- pute, dont l'âcreté augmente en raison de l'obscurité et de l'inutilité des objets sur lesquels elle s'exerce; ils feraient revivre cet esprit de franchise et de loyauté qui vaut bien l'esprit d'in- trigue et de cabale ; ils nous forceraient à appliquer les hommes et les événements passés aux hommes et aux événements actuels; nous travaillerions à devenir meilleurs, et nous gagnerions infi- niment du côté des hommes et des choses.

On me dira que nous n'avons point d'historiens; que, pour un de Thou, il y a cent mauvais compilateurs; qu'il eût été à sou- haiter que l'auteur de V Essai sur les Mœurs, etc., se fût attaché à l'histoire de son pays ; que c'est à un homme d'État et à un philo- sophe à écrire l'histoire, parce qu'il faut connaître les hommes pour les peindre, et participer au gouvernement, ou avoir les qualités propres à ce grand métier, pour en développer les res- sorts : ces raisonnements sont vrais ; je les ai faits.

J'ai vu, dans presque tous les historiens romains, l'intérieur de la république ; ce qui concerne la religion, les lois, la guerre, les mœurs, m'a été clairement dévoilé ; je ne sais même si je n'ai

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