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DE LA GAZETTE LITTÉRAIRE. 211

Il est bien difficile de savoir quel était l'ordre des deux armées. « La signification des termes qui a changé, dit le P. Daniel, cause beaucoup d'embarras dans Fancienne relation des batailles de ce temps-là. »

Rien n'est assurément plus vrai. Nous ne sommes guère plus instruits des détails des opérations militaires depuis Clovis jus- qu'à la journée d'Ivry, que des dispositions de l'armée grecque devant Troie.

Le P. Daniel dit, d'après d'anciens auteurs contemporains, que le duc d'Alencon joignit le roi d'Angleterre dans la mêlée (car on se mêlait alors), et que même il abattit d'un coup de sabre une partie de la couronne que Henri portait au-dessus de son casque, mais qu'il fut tué par les officiers qui environnaient le roi d'Angleterre.

Voici comme le nouvel historien raconte cette aventure conformément à Rapin Thoiras (page 372, tome XIII): a Envi- ronné de morts et de mourants, couvert de sang, le duc d'Alen- con jette un dernier regard sur sa troupe exterminée ou disper- sée. Supérieur par la grandeur de son àme à la fortune qui le trahit, suivi de quelques-uns des siens qui ne l'avaient pas abandonné, il fond sur les ennemis. Tout fuit ou tombe sous ses coups ; partout il porte la mort ou l'effroi ; il enfonce les rangs, il parvient jusqu'au monarque anglais : c'était lui qu'il cherchait. Les deux héros se mesurent de l'œil, s'approchent. Le duc d'York, privé de la vie, tombe à côté du roi. Leduc d'Alencon, sans s'arrêter, se nomme, s'élance sur son adversaire ; d'un coup de hache il enlève une partie de la couronne d'or qui formait le cimier de son casque. Il allait redoubler; c'en était fait, un second coup sauvait peut-être la France : il levait déjà le bras, lorsque Henri, d'un revers, l'étend à ses pieds, etc. »

Quelques lecteurs jugeront peut-être que cette description est un peu trop poétique et peu convenable à la grave simplicité de l'histoire; mais il ne faut pas juger avec trop de sévérité un écrivain entraîné par la force de son sujet qui lui fait passer les bornes ordinaires. On sait assez qu'on doit également éviter recueil du style poétique et celui du style familier. Le P. Daniel fait battre trop souvent une armée à plate couture; on fuit trop à vau de route; et quand sur ces entrefaites les ennemis sont aux trousses et qu'on est à la débandade, le lecteur est trop dégoûté. Un enthou- siasme noble, quoique déplacé, est peut-être plus pardonnable que ces expressions populaires ; mais il ne s'agit pas ici de la manière d'écrire l'histoire, il s'agit de l'histoire même. Tous les

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